Françoise Joly, présentatrice Alors, puisque vous parlez des droits humains, du respect des droits humains, des valeurs…
Philippe Ricard, journaliste auprès du quotidien le Monde
… de l’État de droit
Françoise Joly, présentatrice
… et de l’État de droit et des valeurs qui fondent l’Europe, on vient de parler de la Pologne, qui pourrait comme disait Philippe, être un des États, peut-être même le troisième qui bénéficie le plus…
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
Selon mes chiffres aussi, actuellement, troisième.
Philippe Ricard, journaliste auprès du quotidien le Monde
Du plan d’Ursula von der Leyen.
Françoise Joly, présentatrice
Voilà, de ce plan de relance. C’est un gouvernement conservateur qui est à la tête de la Pologne, le PiS. On sait que notamment on va parler de ce qui concerne ces fameuses zones LGBT free, ces zones où les personnes LGBT seraient exclues. Comment vous êtes… Vous êtes à l’aise, vous avec ce pays ? Comment on fait avec un pays qui défend des valeurs qui sont contre les valeurs européennes ?
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
Je me permets de commencer d’abord puisque j’étais avocat avant…
Françoise Joly , présentatrice
On parlait d’État de droit…
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
Non, non, j’étais avocat. La justice, si la justice ne fonctionne plus dans un pays, la justice n’est plus indépendante, on n’a pas sa place dans l’Europe. L’Europe est basée sur des règles, ces règles doivent pouvoir être contrôlées ; si la justice n’existe plus dans un pays, la place de ce pays n’est plus au sein de l’Europe.
Philippe Ricard, journaliste auprès du quotidien le Monde
Vous trouvez qu’on a passé ce cap, précisément en Pologne ?
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
Non, actuellement, ils font toujours un peu vous savez la danse de Saint Guy : ils font deux pas en avant, un pas en arrière, un pas en avant, deux pas en arrière… Donc, on est toujours sur le fil du rasoir, mais je pense que sans l’Union européenne et c’est là qu’on voit aussi la plus-value de l’Union européenne, sans l’Union européenne, aujourd’hui, la Pologne ne serait pas où elle est aujourd’hui. Elle est déjà… elle va dans une direction en tout cas vu les annonces qui ont été faites qui m’inquiètent, mais s’il n’y avait pas l’Union européenne, on y serait déjà depuis longtemps. Il faut pas l’oublier ça, la plus-value de l’Union européenne pour les droits, aujourd’hui, …
Françoise Joly, présentatrice
C’est une digue pour vous ?
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
… en Pologne. Après, ce qui se passe, c’est que le droit de l’avortement, c’est quelque chose ici, ce n’est pas à moi de dire ce qui est bon ou pas. Je suis un libéral et j’ai un principe que c’est à personne de dire le choix de la femme. Elle doit être conseillée, on doit pouvoir l’aider…
Françoise Joly, présentatrice
Oui, vous l’avez conforté, vous, dans votre pays quand vous êtes arrivé au pouvoir.
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
De dire à une femme ce qu’elle a à faire, c’est la plus difficile décision qu’elle a à prendre et c’est à elle de la prendre avec tout le soutien nécessaire et pas à moi de lui dire et de la culpabiliser.
Françoise Joly, présentatrice
Non, mais vous l’avez conforté ce droit quand vous êtes arrivé.
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
J’ai trouvé qu’au Luxembourg, on avait une obligation de visite médicale, d’expliquer à un étranger pourquoi vous vouliez avorter, j’ai trouvé ça honteux. La femme n’a pas à justifier son choix, elle doit pouvoir être aidée et pas devoir justifier devant un inconnu pourquoi elle veut avorter. On doit l’aider, on ne doit pas la condamner ni la punir.
Philippe Ricard, journaliste auprès du quotidien le Monde
Et on peut laisser les possibilités de choisir, précisément ce que le gouvernement polonais cherchait à restreindre, …
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
Oui, mais c’est ce que je dis par exemple…
Philippe Ricard, journaliste auprès du quotidien le Monde
… avec des manifestations qui ont… enterré le projet et…
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
Le problème qu’il y a, si on avait… la justice est la base, c’est ce qui me gêne le plus. L’avortement, c’est quelque chose, je ne peux pas l’imposer, vous comprenez, mais la justice est le fondement, c’est le fondement de ma société. C’est le fondement de cette structure européenne, si je n’ai plus de justice, si je n’ai plus de contrôle… J’ai une Convention européenne des droits de l’homme qui donne des garanties, j’ai des règles, j’ai des règlements, j’ai des lois, j’ai des directives. Si aujourd’hui chacun fait ce qu’il veut avec une justice qui ne fonctionne plus, ce n’est pas un État qui a sa place dans l’Union européenne. Les autres points dont vous avez parlé, des minorités, vous devez comprendre que les questions de l’homosexualité, c’est quelque chose qui… Je me dis tout simplement de voir… et ça me rappelle l’histoire : de vouloir gagner des suffrages et des voix sur le dos d’une communauté est quelque chose qui me rend très triste. Et encore, je pèse mes mots pour pas parler d’autre chose, parce que ça va faire culpabiliser. Vous savez être homosexuel, moi je me suis pas réveillé un matin en me disant : « je suis gay et voilà c’est comme ça ». J’ai dû m’accepter moi-même, j’ai dû m’accepter moi-même, j’ai dû me dire comment va réagir ma famille ? Comment vont réagir mes amis ? Comment va réagir… Est-ce que… Le taux de suicide chez les jeunes est énorme parce qu’ils ont du mal à s’accepter. Et là, de me dire qu’un gouvernement va me dire : « eh bien, ici, dans cette zone, tu n’es pas toléré » alors que c’est pas mon choix. L’homophobie est un choix, l’homosexualité n’est pas un choix, c’est pas mon choix, j’ai dû m’accepter moi-même. Ça a été le truc le plus dur de me dire : « mais pourquoi t’es pédé ? » au début, et de m’accepter. Et de me dire qu’après, je vais avoir des gouvernements qui vont dire : « eh bien t’es mauvais, t’as pas le droit d’habiter là, tu dégages, t’es malade, t’es quoi que ce soit », je trouve que c’est… je me demande comment on en est arrivé là encore en 2020 et… Moi, j’ai été surpris parce que moi, quand je me suis marié avec Gauthier, c’était il y a cinq ans, on a reçu du courrier du monde entier de gens qui nous disaient merci, ou des mamans qui nous écrivaient : « merci de voir qu’on peut réussir, mon fils est homosexuel et de voir qu’il peut réussir, ça me fait plaisir ou des choses comme ça. » Donc, je ne veux pas être un rôle, je ne suis pas un modèle mais tout simplement de voir que dans certains pays la justice, les droits de la femme - parce que pour moi, l’avortement, c’est un droit de la femme -, les libertés individuelles, la tolérance… Il faut pas oublier que…, je vais faire un lien qui est très dur, mais on a commencé à stigmatiser une religion, et on a vu le résultat, ce que ça a donné en Europe. Donc, d’accepter les discours de haine, c’est inacceptable. Et en fait on doit être aujourd’hui juste intolérant par rapport à l’intolérance.
Philippe Ricard, journaliste auprès du quotidien le Monde
Vous êtes inquiet sur les modalités d’organisation du scrutin présidentiel en Pologne ? Le deuxième tour est prévu le 12 juillet, le premier a eu lieu le 28 juin. En fait, c’est Duda le candidat illibéral sortant qui prétend être à nouveau élu pour le compte de la majorité au pouvoir donc à Varsovie. Vous pensez que la campagne a été, disons, loyale ?
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
Alors, d’abord, libéral, je ne sais pas d’où vous sortez qu’il est…
Philippe Ricard, journaliste auprès du quotidien le Monde
Illibéral…
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
Ah, illibéral, j’avais compris libéral.
Philippe Ricard, journaliste auprès du quotidien le Monde
Non non non, au contraire.
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
Ça m’a fait peur, je me suis dit alors là, il faut que je dénonce…
Philippe Ricard, journaliste auprès du quotidien le Monde
Le libéral est en face.
Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg
Le problème qu’il y a, vous savez l’élection au niveau européen fonctionne. Je fais confiance quand même dans les modes de scrutin au niveau européen. Je sais qu’il y a le droit de vote par correspondance qui va, qui est nouveau pour les Polonais aussi, de la manière dont ça se passe. C’est pour ça qu’on a quand même aussi l’OCDE qui fait des vérifications et l’OSZE, où on fait des vérifications de tout ce qui se passe au niveau élections et je pense qu’il est important de voir que ça se passe normalement mais on doit respecter les choix. Tout ce qu’il y a, moi je peux juste dire ce que je ferais et ce que je regrette, mais le choix des gens est un choix qui est personnel mais on ne doit jamais oublier, je vous l’ai dit tout à l’heure, que dans notre histoire, les pires acteurs de notre continent ont été élus démocratiquement.