Jean-Philippe Schaller, présentateur de l’émission
Alors évidemment, on a entendu ces termes revenir, génocide, nazisme. Les accusations par exemple de Poutine sur un génocide contre les Russes dans les territoires du Donbass, ça repose sur quoi ?
Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie-Nouveaux États indépendants – IFRI
Beh justement, jusqu’à présent la Russie n’a pas présenté les preuves vérifiables de ce génocide. Il y a eu un discours, il y a eu des vidéos dont on se pose la question si cela n’a pas été fabriqué par les services de renseignements russes, ce qui est une… raison…, l’origine est tout à fait plausible : une fabrication pour ensuite avoir le prétexte d’intervenir en Ukraine. En effet, il y a l’utilisation de l’Histoire des deux côtés. Il y a eu ces cas : les bataillons nationalistes qui ont combattu pendant la guerre contre le pouvoir soviétique, mais l’Ukraine indépendante a une attitude tout à fait différente. Et, en effet, certaines forces nationalistes glorifient ces héros qui ont combattu à côté des nazis . Ce qui n’est absolument pas acceptable côté russe où l’Histoire est vue très différemment. Et vraiment cette lecture, elle est très douloureuse, et elle est très présente en dépit des décennies qui se sont écoulées depuis la fin de la guerre. Et en Russie, la société, elle est vraiment abreuvée du discours sur la Deuxième Guerre mondiale : la victoire du peuple soviétique. Ce qui est tout à fait juste mais sauf que jusqu’à aujourd’hui, cela donne encore lieu à beaucoup de sentiment d’humiliation, de mauvais traitements et de l’absence de la reconnaissance pour l’exploit du peuple soviétique de la part des pays de l’Europe orientale et de la part de l’Ukraine.
Jean-Philippe Schaller, présentateur de l’émission
Alors justement, cette vision de l’Histoire que présente Poutine, est-ce que les Russes y adhèrent totalement ? Est-ce qu’il y a quand même peut-être dans la société russe des gens qui se posent des questions, qui s’interrogent ?
Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie-Nouveaux États indépendants – IFRI
La société russe est extrêmement clivée aujourd’hui. La grande majorité en effet adhère au discours sur la victoire dans la Deuxième Guerre mondiale, ça c’est un fait. Il y a aussi la propagande qui est vraiment massive et qui va dans ce sens qui entretient ce sentiment d’injustice à l’égard de la Russie, à l’égard de l’URSS même, le pays libérateur du joug fasciste pour l’Europe orientale et centrale. Donc les Russes vivent en effet dans ce narratif, dans ce discours, ils se sont beaucoup renfermés dans ce discours sur l’humiliation au point où aujourd’hui, en fait, quand on parle de ce qui se passe aujourd’hui, les Russes ressortent souvent aussi les éléments de ce discours sur les éléments nazis qui ont combattu contre l’Union soviétique à l’ouest de l’Ukraine pendant la guerre.
Jean-Philippe Schaller, présentateur de l’émission
Alors une des mesures les plus controversées qu’avait pris le gouvernement ukrainien de Porochenko , c’était l’abrogation du russe comme langue régionale. Alors, est-ce que c’était une erreur ?
Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie-Nouveaux États indépendants – IFRI
Je pense que c’était une erreur. Et en fait, c’est quelque chose qui a déclenché, qui a poussé la Russie à réagir. La Russie est dans un discours sur la construction de « Russkiy mir », le monde russe au-delà des frontières qui réunit toutes les populations russophones et que la Russie, que le gouvernement central, que le Kremlin se doit de protéger. Et donc, c’est à ce titre-là aussi que la Russie intervient pour protéger les russophones à l’étranger et pour rappeler, depuis 2014, la Russie a distribué des passeports russes aussi aux populations qui vivent dans les régions séparatistes de Donetsk et de Louhansk. Quasiment 700.000 personnes avaient reçu des passeports étrangers. Ce qui donne ensuite le droit à la Russie d’aller les défendre à l’étranger, y compris les armes à la main.