Travailleurs domestiques : les nouveaux esclaves ?
Transcription
LE CONTEXTE
Bienvenue sur Geopolitis. « Y'a plus de domestiques ! ». C'est une expression. Qui veut dire qu'on n'est plus servi ! Mais ce n'est pas la réalité. Car, oui, il y a des domestiques, des travailleurs domestiques, des employés de maison, des cuisinières, des femmes de ménage, des chauffeurs, des gardes d'enfants, des bonnes à tout faire. Il y en a même un peu plus de 52 millions dans le monde, calcule l'OIT, l'Organisation Internationale du Travail.
Problème : un travailleur domestique sur dix, seulement, dans le monde est couvert, comme les autres travailleurs, par une législation nationale. Problème encore, et même scandale : près d'un domestique sur deux, dans le monde, n'a droit à aucun jour de repos par semaine ni à une seule semaine de congé payé. Geopolitis se plonge dans ce monde de ces domestiques qu'à bien des égards on peut appeler « les esclaves des temps modernes ».
Ces domestiques, il y en aurait en fait plus de 100 millions dans le monde, au total, en y incluant les personnes non déclarées. Les 52 millions de domestiques dont nous parlons, recensés par l'OIT, c'est le chiffre officiel de personnes déclarées, en situation légale. L'énorme majorité et bien ce sont des femmes, à plus de 80 %; on les trouve en Asie et dans le Pacifique, 21 millions. Viennent ensuite les continents d'Amérique latine, 20 millions, l'Afrique, 5 millions, l'Europe et l'Amérique du Nord avec presque 4 millions et le Moyen-Orient avec un peu plus de 2 millions. Voilà pour la répartition. Quant au sort réservé à cette population souvent invisible, et c'est là aussi son problème, on relève que : 10 % seulement de ces domestiques sont couverts par une législation du travail comparable à celle des autres travailleurs. Plus de 50 % n'ont aucune limite de durée hebdomadaire de travail, et 45 % n'ont aucun droit à une période de repos hebdomadaire. Enfin, à peine 50 % de ces hommes et femmes ont un salaire minimum équivalent au salaire minimum d'un autre travailleur. La situation est tellement choquante, qu’à Genève, en juin de l'année 2011, il a fallu adopter une convention internationale sur ce travail domestique. Un beau succès pour l'OIT, même si, à ce jour, 3 pays, seulement, ont ratifié cet accord. Un beau succès, en tout cas, pour les déléguées de ces travailleurs et travailleuses domestiques venues à Genève du monde entier
EXTRAIT VIDÉO
On se résume, 3 pays ont donc fait ratifier cette convention par leurs parlements respectifs dès la signature de ce texte. Depuis, 4 autres pays ont agi de même dont l’Italie qui est d’ailleurs le seul pays européen à avoir agi de la sorte. Bref, il reste un très grand nombre de pays qui doivent aller dans ce sens disons que ces pays pour le moment réfléchissent, ils prennent leur temps.
LE REPORTAGE
Le cas des Philippines
Aux Philippines, chaque année, plus de 100 000 femmes quittent leurs villes ou villages, et le plus souvent leur propre famille, pour trouver du travail dans ce que l'on appelle « le secteur des services ». Dans ce pays, on peut parler littéralement d'une exportation de domestiques, une politique pratiquée depuis les années septante, et qui, aujourd'hui, sur 95 millions de Philippins regroupent 8 millions de travailleurs domestiques dans le monde, aux États-Unis, au Canada, et surtout au Proche-Orient, avec un cas, celui de l'Arabie Saoudite, principal employeur de ces femmes philippines, pays qui semble poser le plus de problèmes : passeports confisqués, salaires non versés, jours de congé inexistants, et, parfois, violences physiques, voire sexuelles. Aux Philippines, où ces travailleuses expatriées assurent au pays 12 % de son produit intérieur brut, on a même créé des écoles, des académies d'employées de maison, avec cours de langues, familiarisation avec une autre culture, un autre habitat, une autre tenue vestimentaire, en somme, pour reprendre une expression courante aux Philippines, une école de super-domestiques, voire de super-bonnes.
L’exemple de Hong-Kong
Elles ont perdu leur combat. Elles sont 300 000, venues d'Indonésie et de plusieurs pays de la région, à travailler à Hongkong, ce territoire chinois de 7 millions d'habitants. Là bas, les domestiques ont droit, certes, à un jour de congé par semaine et à un salaire relativement décent, encore que, récemment, on leur a imposé une baisse de revenu. Mais le grand problème de ces employées de maison n'est pas là. À Hong Kong, tous les travailleurs étrangers, avocats, financiers, professeurs ou banquiers ont droit au statut de résident permanent dès lors qu'ils ont passé sept ans sur place. Un tel droit est refusé à toutes ces femmes domestiques. Le gouvernement et la justice de Hongkong viennent tout juste de se prononcer en ce sens, craignant un afflux de Philippines et d'Indonésiennes qui resteraient sur le territoire tout en faisant venir leurs familles. Conclusion : si une femme perd son emploi, elle doit retrouver un travail et un contrat dans les deux semaines, sous peine d'être expulsée.
La convention 189
C'est un texte dont l'intitulé dit tout : « convention sur le travail décent des travailleurs et travailleuses domestiques ». Cette convention, qui porte le numéro 189, reconnait, pour la première fois dans le monde, un statut à cette population de travailleurs, enfin considérés comme employés à part entière et donc, devant pouvoir jouir des mêmes droits. Tous les pays ayant signé cette convention sont d'accord pour établir des règles à destination des employeurs : entre autres engagements, une durée de travail dite « raisonnable », égale à celle des travailleurs d'autres secteurs, une indemnisation des heures supplémentaires, un repos hebdomadaire d'au moins 24 heures consécutives, une information claire et précise sur les conditions d'embauche, le droit aux congés payés, et, enfin, le respect des principes fondamentaux du travail, dont la liberté syndicale. Certes, la plupart des pays signataires n'ont pas encore formellement fait ratifier cette convention. Mais l'idée qu'un texte international existe et garantit des droits fait son chemin. Ainsi que l'affirmaient certaines de ces employées de maison : ce qu'il faut, c'est domestiquer l'emploi domestique.
L’ÉDITO Donc, il y a des esclaves. Mais s'il y a des esclaves, c'est qu'il y a des esclavagistes. Qu'il convient de dénoncer. C'est ce à quoi s'emploient plusieurs ONG ici à Genève. Encore faut-il que Genève, précisément, donne le bon exemple. Tel n'a pas toujours été le cas. Il n'y a pas si longtemps, la ville de Calvin bruissait de toutes sortes de rumeurs, rumeurs très feutrées, au début, insistantes par la suite, fondées, en fin de compte. Car oui, dans la ville des droits de l'homme, il y avait des employeurs indélicats, des personnels diplomatiques malhonnêtes, et, disons-le, des femmes d'ambassadeurs ou de chefs de mission au comportement scandaleux, traitant leurs domestiques comme des esclaves, se croyant au-dessus des lois, et réussissant, par la ruse, à étouffer les cris de ce petit personnel dont à Genève, on faisait semblant d'ignorer le sort. Il a fallu des années pour que la loi du silence soit rompue, pour que les autorités réagissent, pour qu'un syndicat se crée, pour que, ouvertement, dans la cité qui accueille la commission des droits de l'homme, on accepte la réalité telle qu'elle était, et que, surtout, on y remédie. Pour respecter les droits de l'homme, mais aussi pour donner le bon exemple !
Et sur la page Web de Geopolitis, préparée par David Nicole, un chapitre nouveau: vous pouvez désormais discuter entre vous de l'émission et la commenter. Nos rubriques habituelles sont là pour enrichir la réflexion sur cette problématique des travailleurs domestiques, en vidéos, en sites internet et en infographie. La possibilité bien sûr de podcaster cette émission et vous êtes toujours les bienvenus sur Geopolitis.