Sedna était une très belle jeune femme. Être belle n’est pas un défaut, c’est vrai, mais être vaniteuse, oui… Sedna était tellement occupée à brosser ses longs cheveux et à contempler son reflet qu’elle en devenait désagréable pour tout son entourage. Personne n’était assez bien pour elle et elle refusait sans ménagement tous les prétendants que son père lui faisait rencontrer.
Un jour, son père, un veuf d’un certain âge, en eut assez des caprices de sa fille. Il déclara que le prochain qui demanderait la main de Sedna l’épouserait, peu importe de qui il s’agissait. Le lendemain, on frappa à la porte. Le père ouvrit et découvrit un chasseur, aux vêtements coûteux et élégants, mais au visage très laid. L’homme déclara qu’il voulait épouser Sedna. Cette dernière eut beau pleurer et protester, son père l’obligea à lui obéir : elle dut épouser le chasseur et le suivre sur l’île qu’il habitait.
Sedna s’aperçut rapidement que son nouveau mari était un chaman très puissant, et hélas très méchant. Il vivait le plus souvent sous la forme d’un homme oiseau et lui faisait subir les pires traitements. Sedna pleurait et gémissait du matin au soir. Elle était terriblement malheureuse. Elle pleura tant que son père, sur le continent, entendit ses plaintes. Touché par la peine de sa fille, il profita de l’absence du chaman pour se rendre en kayak sur l’île où vivait Sedna. Celle-ci fut folle de joie en l’apercevant ! Mais il ne fallait pas trop s’attarder, car le chaman était très cruel, surtout quand il était contrarié.
Sans perdre un instant, Sedna et son père embarquèrent dans leur kayak et entreprirent de quitter l’île… Le chaman s’aperçut rapidement de la disparition de son épouse et il entra dans une rage folle. Il ordonna à la mer de s’agiter. La plus terrible des tempêtes se leva et prit le petit kayak dans ses filets. L’embarcation était bousculée de tous côtés. Des vagues immenses menaçaient ses deux occupants. Les éléments étaient déchaînés et rien ne semblait pouvoir apaiser la colère de l’homme oiseau.
Le père, effrayé, comprit que s’il n’agissait pas, sa fille et lui allaient mourir sans tarder. Tremblant d’effroi, il ne vit qu’une solution : rendre Sedna à son mari pour mettre fin à sa terrible colère. Sans réfléchir, guidé par la peur, l’homme poussa Sedna hors du kayak.
La tempête ne se calma pas pour autant. Prise de panique, grelottante, la jeune femme essaya de s’agripper au kayak et de se hisser par-dessus bord. Son père ne la laissa pas faire. Pire encore : il se mit à taper sur ses doigts gelés avec sa pagaie afin qu’elle lâche prise… Il tapa si fort que les doigts de Sedna se cassèrent. Ils tombèrent à l’eau et se transformèrent, devenant les poissons qui peuplent à présent la mer. Sedna n’abandonna pas pour autant. Elle continua à tenter de s’accrocher au kayak de ses mains glacées. Mais son père, toujours armé de sa pagaie, tapa de plus belle et lui brisa aussi les mains. Elles tombèrent dans l’eau déchaînée et se transformèrent à leur tour, devenant les mammifères qui peuplent la mer.
À bout de forces, Sedna ne pouvait rien faire d’autre que de se laisser couler. Elle lâcha l’embarcation et, ses longs cheveux flottant autour d’elle, elle s’enfonça dans les profondeurs de la mer, où elle se transforma en sirène. Elle y est toujours. Quand les flots s’agitent, on raconte que c’est Sedna, irritée de ne plus avoir de mains pour peigner ses beaux cheveux, qui se met en colère. Voilà pourquoi, depuis ce jour, les chamans doivent se munir d’un peigne lorsqu’ils entrent en transe pour calmer Sedna, déesse de la mer.