Paul Germain
Et pour commencer, je vous présente Salima Ghezali. Vous êtes algérienne, vous avez dirigé dans les années 90, le journal « La Nation » qui a été empêché de paraître. Vous avez obtenu en 97 le prix Sakharov du Parlement européen, un prix qui récompense la liberté de penser. Une liberté qu’il est toujours difficile d’exercer dans votre pays ?
Salima Ghezali
Je crois qu’elle est toujours difficile à exercer dans le monde et comme mon pays fait partie du monde c’est particulièrement difficile. D’une manière différente de la difficulté qu’on connaissait dans les années 90 où on savait…
Paul Germain
Oui, c’était les années noires, les années du terrorisme…
Salima Ghezali
Voilà, terrorisme, terreur d’État, tout ce que la guerre entraîne. Donc à l’époque on avait peur de mourir. Maintenant, quand on a peur, on a surtout peur de se tromper pour certains et pas du tout peur de se tromper pour d’autres. Et donc, maintenant, il faut avoir peur en tant que journaliste. Il faut avoir peur pour ce métier aussi, qu’est-ce qu’il est en train de devenir dans un monde très complexe, très confus et très brutal.
[…]
Paul Germain
Défendre les journalistes, c’est pas simplement du corporatisme, Salima Ghezali ?
Salima Ghezali
Non, absolument pas. Mais il faut savoir aussi défendre les journalistes, c’est aussi défendre l’exercice du métier en tant que tel. C’est-à-dire celui qui consiste à accéder à l’information, à la vraie information et à l’amener vers la société pour qu’elle débatte en connaissance de cause. Donc il ne s’agit pas que défendre le journaliste que en tant que personne, c’est en tant que personne exerçant un métier dont la responsabilité est extrêmement lourde. Non, c’est pas que du corporatisme. Il ne faut pas que ça ne devienne que du corporatisme.
[…]
Paul Germain
Salima Ghezali, est-ce que les bloggeurs ne font pas peur aujourd’hui ? Peut-être plus même que certains journalistes à certains régimes ? Peut-être parce que, à tort ou à raison, on attribue aux bloggeurs, on attribue aux internautes une responsabilité dans le déclenchement des printemps arabes ?
Salima Ghezali
Absolument, je pense que c’est de manière abusive d’ailleurs, qu’on a prétendu que c’était les réseaux sociaux et les bloggeurs, etc. et Facebook qui avaient été la cheville ouvrière et le déclencheur majeur de ces printemps arabes. Effectivement, il y a une phobie chez des régimes qui étaient déjà autoritaires avec les formes de liberté d’expression, mais c’est vrai qu’il y a une crispation autour de ce que font les bloggeurs et aussi il y a chez les bloggeurs, il faut le dire parce que - peut-être parce que je défends ma chapelle en tant que journaliste -, mais le citoyen quand il prend cette arme de la communication et qu’il se jette dedans, ne sait pas toujours que parfois il se met en danger, pas seulement d’être réprimé mais de ne même pas pouvoir être défendu par la justice parce que, effectivement, c’est un métier « communiquer ». C’est un métier que de faire passer des informations. Et autant, effectivement, l’activité citoyenne est essentielle aujourd’hui, d’autant que l’exercice du métier de journaliste aussi connaît énormément de contraintes, mais c’est aussi une prise de risques qu’on n’évalue pas toujours surtout chez les plus jeunes.