Niagalé Bagayoko, politologue, présidente de l’African Security Sector Network
Des communiqués, des sommets, des résolutions. L’Union africaine dispose-t-elle d’autres instruments pour gérer les conflits ?
Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union africaine, 2017-2025
Les changements non constitutionnels de gouvernements se sont multipliés en totale défiance de tout l’ordonnancement politico-juridique qui a fondé notre organisation. Notre échec à contrer un tel phénomène est patent.
Niagalé Bagayoko, politologue, présidente de l’African Security Sector Network
Début 2024, ce constat du président de la Commission de l’Union africaine (UA) montre l’impuissance de l’organisation face aux coups d’État qui se multiplient sur le continent. Pourtant l’UA s’emploie à prévenir ou gérer les crises au sein de ses États membres. Avec quels moyens ? Pour quels résultats ? On décrypte ensemble. Mais d’abord c’est quoi l’Union africaine ? C’est l’organisation multilatérale à vocation continentale qui a remplacé l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). L’OUA avait été créée au lendemain des indépendances pour promouvoir la vision panafricaniste d’une Afrique unie, solidaire et libre de choisir son destin. L’Union africaine voit véritablement le jour à Durban en Afrique du Sud, lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement du 8 au 10 juillet 2002. Sur un continent en grande partie émancipé du colonialisme et de l’apartheid, l’UA met avant tout l’accent sur l’intégration économique, la prospérité et l’affirmation de l'Afrique sur la scène internationale. Son siège se trouve à Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie, et tous les États du continent en sont membres. Depuis quand l’organisation panafricaine intervient-elle pour gérer les crises et les conflits ? L’OUA avait créé un « Mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits », un fonds spécial pour la paix, un centre de gestion des conflits et un organe de décision intergouvernemental. En 2001, l’Acte constitutif de l’Union africaine rompt avec le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de ses membres. L’UA revendique le droit d’intervenir dans un État en cas de crime de guerre, de génocide et de crime contre l’humanité, affirme le droit des États membres de solliciter son intervention pour restaurer la paix et la sécurité et condamne les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Mais qui décide des interventions de l’Union africaine ? L’UA s’est dotée d’une architecture africaine de paix et de sécurité, généralement désignée sous son sigle anglais APSA1. Elle s’appuie sur six piliers. Le Conseil de paix et de sécurité, son organe de décision. Il est composé de quinze États désignés selon des principes de rotation et de représentation régionale équitable. La Commission de l’Union africaine ensuite. Son président agit sous l’autorité du Conseil de Paix et de Sécurité et prend des initiatives diplomatiques. Il est assisté par un commissaire qui dirige notamment le Département Paix et Sécurité de l’organisation. Troisièmement, le Fonds pour la paix, chargé de financer les activités de l’APSA. Le Groupe des Sages, un organe consultatif, composé de personnalités représentant les différentes régions du continent. Cinquième pilier, le Système continental d’alerte rapide, chargé de l’analyse des situations de conflit potentiel. Enfin, la Force Africaine en Attente, dotée de contingents militaires, policiers et civils, stationnés dans leur pays d’origine et prêts à être déployés. Depuis la création de l’Architecture africaine de paix et de sécurité, l’UA est intervenue à plusieurs reprises militairement sur le continent : au Burundi, au Soudan, aux Comores, en République centrafricaine, contre l’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda, au Soudan du Sud, en RDC2 et en République centrafricaine. Mais c’est en Somalie, dans le cadre des opérations AMISOM3 puis ATMIS4, que l’intervention de l’UA a été la plus longue et la plus significative. Elle est également intervenue conjointement avec l’ONU5 au Darfour6 dans le cadre d’une opération hybride. L’UA est aussi fréquemment engagée pour prévenir les conflits, superviser la mise en œuvre d’accords de paix, accompagner les processus électoraux et les transitions ou soutenir les réformes des forces de défense et de sécurité dans ses États membres. Mais alors pourquoi, malgré toutes ces interventions, l’UA est-elle souvent présentée comme inefficace ? D’abord parce que le dispositif de la Force Africaine en Attente s’est avéré complexe et lourd à mobiliser, voire impossible à actionner conformément aux différents scénarii prévus. Les forces des États membres ont souvent été déployées en dehors de ce cadre, via des dispositifs ad hoc. Les rivalités entre ses membres, mais aussi le manque de clarté sur la répartition des compétences et la subsidiarité entre l’Union africaine et les communautés économiques régionales, expliquent aussi les difficultés rencontrées.
Liesl Louw Vaudran, conseillère principale « Union africaine » de l’International Crisis Group
Le principal problème c’est : « qui a la responsabilité d’intervenir ? », surtout quand il y a un problème complexe comme la crise au Soudan. C’est-à-dire, l’Union africaine est prête à intervenir ou lancer une médiation et les pays de la région ont répondu que non, en fait, ce sont les pays de la région qui devraient d’abord tenter une médiation, qui a échoué à la fin. Donc ça crée beaucoup de confusion et de7 frustration, et même quand il s’agit de financement, ce n’est pas clair qui est responsable de l’intervention.
Niagalé Bagayoko, politologue, présidente de l’African Security Sector Network
Car le financement des actions est l’autre difficulté majeure de l’UA. Ses principales opérations dépendent très largement des fonds de l’Union européenne, à hauteur de 24 %. Depuis fin 2023, la résolution 2719 du Conseil de sécurité de l’ONU prévoit aussi un financement maximal par les Nations unies de 75 % des actions. Mais sa mise en application s'avère complexe. Et cette dépendance exagérée vis-à-vis de la communauté internationale sape la légitimité et le leadership de l’Union africaine pour la résolution des crises sur le continent. Alors, comment rendre l’UA plus efficace ? Une réforme a été engagée sous la présidence du Rwanda entre 2018 et 2019. Elle s’articule autour de trois axes majeurs : des réformes institutionnelles au sein de la commission ; réforme aussi des relations entre l’UA, les communautés économiques régionales et les États membres, et enfin, réforme du financement. Plus généralement, l’efficacité de ces réformes reste très limitée, comme en témoigne le faible impact du programme « Faire taire les armes », pourtant présenté comme l’initiative phare de l’agenda 2063 de l’UA. Voilà, j’espère vous avoir apporté des clés de compréhension du rôle de l’Union africaine en matière de paix et de sécurité. Mais si vous voulez encore approfondir vos connaissances pour vous forger votre propre opinion, je vous donne rendez-vous dans la rubrique « En savoir plus » sur le site web de TV5MONDE.
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[1] Sigle pour l’anglais « African Peace and Security Architecture. ».
[2] Sigle pour « République Démocratique du Congo ».
[3] Sigle pour la mission de l’Union africaine en Somalie, de l’anglais « African Union Mission in Somalia », Amisom est une mission de maintien de la paix en Somalie menée par l’Union africaine avec l’aval des Nations unies à la suite de la guerre civile somalienne. AMISOM a été créée en 2007 et son mandat a été prolongé depuis tous les 6 ou 12 mois jusqu’en 2022, où elle est remplacée par l’ATMIS. (source : Wikipédia).
[4] Sigle pour la Mission de Transition de l’Union africaine en Somalie. (source : Wikipédia).
[5] Sigle pour « Organisation des Nations unies », une organisation internationale regroupant 193 États membres depuis le 14 juillet 2011. Ses objectifs premiers sont le maintien de la paix et la sécurité internationale. (source : Wikipédia)
[6] Région de l’Ouest du Soudan, le Darfour est depuis 2003 le théâtre d’une guerre civile ayant provoqué une grave crise humanitaire.
[7] Cette phrase a été modifiée par rapport à ce qu’on entend dans l’émission : « beaucoup de confusion et frustration* ».