Jean-Pierre Verney
On ne peut pas comprendre avril 1917 si on n’est pas, si on ne revient pas sur l'année 1916. C'est une année tragique. D'abord la bataille de Verdun qui est un combat franco-allemand d'une grande violence. Et puis, brutalement, il va y avoir la bataille de la Somme qui concerne plus les Anglais. Et, on a tellement demandé à ces hommes en 1916 …. Quand on va leur promettre la victoire en quelques jours en 1917, avec l'arrivée d'un nouveau commandant - Joffre ayant été écarté - Nivelle arrive et il promet, il promet, il a la clé miracle pour vaincre pour briser les lignes ennemies. Et pendant trois mois, ces hommes sont leurrés.
Alors, certains chefs se rendent compte que ce n'est pas possible. Il y a une hostilité au programme Nivelle. D'abord, il y a la retraite allemande du plan Hindenburg. La retraite Hindenburg, et ça, ça bouleverse les plans mais ça ne le gêne pas, il continue à croire au miracle. Après, les Allemands sont informés minute par minute de la progression française, du plan français puisqu'ils le trouvent dans la poche d'un sous-officier qui est capturé, enfin qui est fait prisonnier. Et malgré ça, malgré les alertes de certains généraux qui alertent le gouvernement, malgré les entrevues avec Poincaré et le gouvernement, Nivelle est presque à donner sa démission, mais en même temps il promet d'arrêter dans les 24 heures si l'offensive se passe mal.
Donc, le 15 avril, l'attaque commence, il fait froid. La préparation d’artillerie a été mauvaise, les réglages ont été mauvais, les Allemands ont été informés, ils ont enterré leurs troupes, ils les ont fait…. mis en retrait. Ces hommes partent, les troupes sénégalaises, les troupes noires ne sont pas habituées à ces climats, et c'est le massacre dès le premier jour. On compte à peu près 20 000 victimes. Mais, le vrai problème c'est que Nivelle va persévérer non pas un jour, non pas deux jours mais des semaines ! Et ça va provoquer ce qu'on appelle les mutineries, les refus d'obéissance.
Il y a beaucoup de gens qui confondent les mutineries et les fusillés pour l'exemple. En fin de compte, l'année 14, 15 et même un peu 16… dès 1914, la justice militaire dès le mois d'août, devient féroce. Donc il y a des fusillés dès le mois d’août 14 pour refus d'obéissance, pour désertion, pour abandon de poste devant l’ennemi. Le code militaire est très précis là-dessus. Et il y a beaucoup d'erreurs, d'erreurs humaines. Il y a beaucoup de crimes à l'extrême. Et en 1915, il faut faire l'exemple. Les hommes commencent à être fatigués en 1915, il y en a beaucoup qui vont essayer d'échapper à l'horreur du front, à l'horreur de la tranchée. Alors d'une part, il y a ceux qui vont se mutiler volontairement par exemple et là, on va les rechercher, ils risquent effectivement l'exécution. Alors, ils trouvent des moyens pour s'inoculer une maladie par exemple ou pour obtenir un ictère, une jaunisse, en faisant chauffer de l’huile et en buvant de l’huile des choses comme ça, ou en se tirant une balle dans le pied ou dans la main. Mais là, en général, on retrouve des traces de poudre. Donc on se dit : « tiens, ce n'est pas un coup de fusil qui vient de l'autre côté ». Et puis de l’autre côté, il y a des hommes à qui on demande aussi l'impossible donc les fameux fusillés pour l'exemple. On demande à une compagnie d'attaquer un petit bois devant et puis c'est pas possible donc ces hommes ou ne sortent pas de la tranchée ou refluent. Et là, il y a des officiers qui veulent faire de l'exemple. Il faut pas que ça se produise : quand on donne un ordre, il faut qu'il soit exécuté. Et là, on va choisir un homme sur cinq dans une compagnie pour le juger en sachant que le jugement va amener l'exécution. C’est les grandes tragédies de l'année 15. On connaît Crouy, on connaît des tas d'exemples comme ça. Ce sont des tragédies et la Ligue des Droits de l'Homme très vite va s'intéresser à tous ces cas, mais très peu seront revus et corrigés après-guerre et c'est un problème qui se pose encore aujourd'hui en France. Je pense à ce lieutenant Chapelant. C'est un homme qui, qui a été blessé enfin, qui a été blessé et qui est revenu dans les lignes et on l'a accusé de désertion. C’était un officier un lieutenant. Et comme il était blessé, il a été fusillé sur son brancard. Donc c'est un peu un qui été repris par Kubrick dans son film. Et c’est une tragédie ce garçon. Son père s’est battu toute sa vie pour essayer que le jugement soit rendu dans le bon sens. En réalité, derrière ces refus de, enfin des mutineries, il faut avant tout comprendre que ce sont des citoyens, ce sont des hommes… ce sont des ouvriers un peu, ces soldats. Et bien, on leur en demande trop. Ils ne veulent plus aller contre des barbelés qui ne sont pas détruits. Ils ne veulent plus attaquer dans des endroits où c'est impossible. En réalité, ils deviennent un peu des grévistes de l'attaque. Ils abandonnent pas les tranchées, ils refusent de revenir aux tranchées quand ils ont eu l'impression d'avoir eu leur part. Voilà, c'est le début des mutineries. « À d'autres d’y aller, nous on a déjà donné ». Voilà, ils jettent pas leur fusil ou très peu. Il va y avoir un nouveau chef, Pétain. Quand il arrive, les mutineries sont déjà bien établies, on peut considérer que le tiers de l'armée française est touchée. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a eu non pas de la mansuétude mais enfin de la part des juges, des tribunaux militaires ça été assez bien géré en fin de compte puisque je crois, on peut dire qu'il y a eu 30 000 hommes qui se sont retrouvés devant un tribunal militaire, il y a eu 800 condamnés à des peines lourdes ou de mort, et il y a eu moins de 50 exécutés. Ce qui n'a rien à voir avec les 400 450 exécutions des années 14 et 15.
Marius Estratat
Je vais vous dire que en 1914, il y avait réellement le patriotisme. Mais vous savez, quand c’est toujours les mêmes, comme on dit, qui se font tuer, eh bien on en avait marre. Les Français, on est comme ça, on rouspète mais on marche toujours. Oui… à Craonne… oui.
Chanson de Craonne interprétée par Marius Estratat
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau
C’est malheureux de voir sur les grands boulevards
Tous ces gens qui font la foire ;
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous ce n’est pas la même chose.
Au lieu de se cacher, tous ces embusqués,
Feraient mieux de monter aux tranchées
Pour défendre leur bien, car nous n’avons rien,
Nous autres, purotins.
Tous nos compagnons sont étendus là,
Pour défendre le bien de tous ces gens-là.
Ceux qui ont le pognon, ceux-là reviendront,
Puisque c’est pour eux que l’on crève.
Mais c’est fini, tous nos troufions
Vont bientôt se mettre en grève.
À votre tour, messieurs les gros,
De monter sur le plateau,
Puisque vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !
Alors ce n’est pas patriotique. On ne la chantait pas devant les officiers, vous savez…
Puis : Quand on vient en permission
Avec trois mois de privations
De plaisirs, d’amour et de flemme,
À sa petite femme, pleine de passion
On dit… on prouve que le soldat français
Travaille toujours… pour le… l’humanité
Euh, je sais pas.
Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
On a tout de même de l’espérance
Car demain (c’est peut-être) la relève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain, dans le noir….sous la pluie… dans le noir,
Quand il fait silence,
On entend quelqu’un qui s’avance,
C’est un officier de chasseurs à pied,
Qui vient pour nous relever.
Doucement dans l’ombre, sous la pluie qui tombe,
Ces petits chasseurs viennent chercher leur tombe
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous des condamnés,
Nous sommes des sacrifiés !
Voilà, la chanson est finie.