Pierre Kroll ou les défis de l'humour

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Quel est l’impact du politiquement correct sur le dessin de presse ?
Publier un dessin sur un mur collaboratif.
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Éducation aux médias : analyse d'un dessin de presse
Contenus complementaires
    Caricaturiste célèbre en Belgique, Pierre Kroll questionne chaque jour l’actualité avec ses dessins. Pour lui, le dessin de presse est destiné aux gens qui le comprennent et qui aiment l’humour.
    Production
    TV5MONDE
    Chaîne d'origine
    RTBF
    TV5MONDE
    - Modifié le
    10/08/2021
    Paul Germain 

    Pierre Kroll, bonjour. Vous êtes dessinateur, vous publiez une caricature chaque jour dans le grand quotidien belge Le Soir, vous faites aussi partie de « Cartooning for Peace » qui rassemble des dessinateurs du monde entier et qui défend la liberté d’expression. Alors, au Bar de l’Europe, je vous ai servi – c’est de circonstance – une galette des rois, un gâteau qu’on associe généralement aux Rois mages, au petit Jésus. Est-ce que ce gâteau ne manque pas de laïcité ? Un peu comme le sapin de Noël auquel beaucoup de villes en Europe ont renoncé pour cette raison, et est-ce que ce climat, cette obsession de la neutralité, ça pèse pas sur le travail du dessinateur, que vous êtes ?  

    Pierre Kroll
     
    Oui, bien sûr, ça pèse dessus et c’est un très vaste débat. Moi, je pense qu’on peut, on peut garder des…, je ne devrais même pas dire des traditions – ça, c’est déjà rentré dans le débat - des restes peut-être de traditions, tout en ayant perdu le sens. Pourquoi ceci ne serait pas laïque, en soi ? C’est vous qui le décidez ou moi. On a eu en Belgique, toute cette querelle à propos de saint Nicolas – donc, saint Nicolas, c’est, c’est comme le Père Noël, c’est un évêque… euh… Et maintenant certains pensent qu’on ne peut plus le dessiner avec une croix ; mais alors il est habillé en quoi ce monsieur, alors ? Avec des dentelles et une espèce de chapeau comme ça. Moi, je ne vois pas, je ne vois pas le racisme dans le père Fouettard, je ne vois pas la croyance dans le roi des Juifs dans ce gâteau. Mais, question de liberté. Je pense qu’on n’en finirait pas si on doit pourchasser tout ce qui contient des traces de quelque chose qu’on n’aime pas. Voilà, j’essayerais de le dire comme ça. 

    Paul Germain 
     
    Vous êtes très politiquement incorrect dans cet album que vous publiez, hein, Pierre Kroll. C’est très drôle et d’ailleurs c’est belge. C’est le titre. C’est un gros album de recueils, de dessins, qui sont parfois très anciens, qui ont vingt ou trente ans parfois. 
     
    Pierre Kroll
     
    Oui, c’est-à-dire qu’en Belgique, je suis assez connu par les journaux, la télévision, et j’ai un album qui est très vendu chaque année en Belgique mais on ne le trouve pas ailleurs qu’en Belgique parce qu’il contient trop de politique belge. Et pour une fois, un éditeur français a dit : mais on va montrer ce que Kroll fait depuis si longtemps, et donc, ça donne un gros livre.

    Paul Germain 
     
    Alors, vous répondez à des questions essentielles comme par exemple : Jésus était-il marié ? Réponse ? 

    Pierre Kroll
     
    Ah, je pose les questions. Attendez, les caricaturistes répondent rarement aux questions. On n’est pas très affirmatifs…

    Paul Germain 
     
    Mais, on a quand même la réponse parce que derrière la porte, il y a une dame, probablement, qui dit : « bon, ben voilà, c’est à cette heure-ci que tu rentres ? »

    Pierre Kroll
     
    Ben, disons que le dessin et s’il était marié, il connaitrait peut-être ces problèmes que nous connaissons tous liés au mariage. Il connait peut-être les problèmes liés au célibat, moi j’en sais rien, s’il était marié ou pas, ça m’est égal d’ailleurs.

    Paul Germain 
     
    Et donc, on peut se moquer des religions ?   

    Pierre Kroll
     
    Oui, voilà c’est plutôt ça qu’il faut dire de ce dessin. C’est que moi, j’ai été élevé dans la religion chrétienne, catholique, j’ai fait ma communion, je suis baptisé, etc. Ça ne, je ne vous répondrai même pas à la question pour savoir si je suis encore croyant ou pas, ça ne vous regarde pas à la limite, mais je me permets ce genre de choses parce que je ne les trouve pas sacrilèges, ça ne fait de mal à personne. Les gens qui aiment profondément Jésus vont aimer ce personnage sympathique qui se fait engueuler par sa femme s’il en a une.   

    Paul Germain 
     
    Autre dessin, est-ce que celui-ci est sacrilège ? Ceci n’est pas Mahomet.   

    Pierre Kroll
     
    Alors, il évite de l’être. Mais, ce dessin date de 2005, au moment de la publication des caricatures dans ce journal danois qui ont provoqué tout ce qu’on sait. Pas au moment de Charlie Hebdo hein, au moment des caricatures danoises ! Et, j’avais pensé, moi, tous les dessinateurs du monde étaient interpelés et devaient produire un dessin ce jour-là évidemment. Moi, j’ai puisé dans le patrimoine belge, ce tableau que beaucoup de gens connaissent : « Ceci n’est pas une pipe », le tableau de Magritte dont le titre est La trahison des images.  On était bien au cœur de la question : qui trahit qui lorsqu’on fait quelque chose qui est interdit par une religion ? Si vous n’en faites pas partie, de cette religion, pourquoi est-ce que je pourrais pas dessiner le prophète ? Moi, j’ai pas pris le risque de le faire parce que tout simplement mon journal, à ce moment-là, n’aurait pas publié ce dessin. Donc, j’aurais pu faire simplement un tableau qui, un dessin qui dirait ceci n’est pas Mahomet avec le dessin de Mahomet, ça aurait été plus proche de Magritte, ça ressemblait encore à de la provocation. Bref, j’ai retourné le dessin dans tous les sens et j’ai fait la solution la plus bizarre, si vous voulez. « Ceci n’est pas Mahomet » et y a rien en plus dedans. Donc, vraiment, c’est dire, contrairement à ce qu’on disait tout à l’heure, un dessin n’est pas toujours une réponse. Ça, je pose la question, voilà, qu’est-ce qui fallait faire ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ou de bien là-dedans, voilà, j’en sais rien !

    Paul Germain
     
    On est trois ans après les attentats de Charlie Hebdo. Je sais qu’on vous a posé la question mille fois. On sait aujourd’hui que la rédaction de Charlie travaille dans la clandestinité. Est-ce qu’on doit vraiment avoir peur ou bien est-ce qu’on en fait trop ?
     
    Pierre Kroll
     
    Ah, ça, je leur laisse réponse. Je pense que eux, savent les menaces qu’ils reçoivent et savent s’ils ont des raisons d’avoir peur. Je pense malheureusement que oui. Mais on est arrivé à une situation extrêmement paradoxale, gravement paradoxale. Moi je dis – beaucoup ne le disent pas – mais je dis, depuis ces évènements, que Charlie Hebdo a trop de lecteurs. Et je ne dis pas ça parce que je ne les aime pas, au contraire ! Mais je trouve que ça doit rester destiné aux gens qui comprennent ce type d’humour. Lorsqu’on dit Charlie Hebdo va trop loin avec Johnny Halliday ou avec je sais pas quoi, mais enfin, il y a 40 ans qu’ils font ça ! Si vous aimez pas, ne regardez pas ça ! N’ouvrez pas un journal érotique pour dire qu’il y a trop de femmes nues dedans, c’est malin…Donc Charlie Hebdo devrait avoir les lecteurs qui l’aiment et puis, c’est tout, et pas d’autre. Et puis, je lis qu’ils ont besoin de 800 000 exemplaires vendus rien que pour payer leur protection sur place. Donc, on est arrivé à un système complètement paradoxal. Ces connards – excusez-moi – de frères Kouachi, ils ont fait une publicité invraisemblable à Charlie Hebdo et à ce qu’ils n’aiment pas, et ils les obligent à produire et à produire encore et encore plus.

    Paul Germain
     
    Alors, l’Europe doit faire face au terrorisme, elle doit faire face également à un autre grand défi, c’est celui des migrants et là, vous avez fait un dessin qui n’est pas tendre vis-à-vis de l’Europe et je rappelle que vous êtes au Parlement européen et que vous risquez de sortir avec du goudron et des plumes. Alors qu’est-ce qu’on voit sur ce dessin ? Un garde-côte qui pose la question à quelqu’un qui se noie : « Vous vous définiriez comme réfugié économique ou politique ? C’est important pour nous. Franchement ! ».

    Pierre Kroll
     
    Bah, vous savez que c’est important parce que les …on n’applique pas la loi de la même manière, dans aucun pays d’Europe d’ailleurs, à un réfugié politique ou à quelqu’un qui fuit simplement son pays pour venir trouver du travail dans un autre. Moi, ce que je veux juste rappeler dans ce dessin, c’est que c’est souvent un peu les mêmes. Enfin, un réfugié politique, on voit ce que c’est, il demande l’asile ; un réfugié économique, c’est quand même pas quelqu’un qui traverse la Méditerranée pour passer son temps ! C’est quelqu’un qui fuit une situation insupportable, une vie insupportable. Donc, pour la personne, la situation n’est pas franchement différente. Moi, ce qui m’étonne le plus, c’est quand je fais ces dessins-là, vous imaginez pas le nombre de messages de gens qui me reprochent de le faire en me disant que je n’ai pas à compatir. Or, c’est un dessin qui est juste compatissant, qui veut juste dire, moi je sais pas ce que ce type fuit, enfin n’empêche qu’il est dans l’eau. Et bien des gens trouvent que c’est déjà trop gentil.

    Paul Germain
     
    Donald Trump, là, je vous pose pas la question, vous devez être ravi, c’est du pain béni pour un caricaturiste.

    Pierre Kroll
     
    Oui, c’est presque trop ! Ce type est une caricature ! Le dernier livre qui sort de lui, sur lui, il y avait un bel éditorial dans Le Soir qui disait tout ce qu’on apprend dans ce livre, c’est que Trump est vraiment Trump. Donc, il est vraiment les caricatures qu’on en fait, semble-t-il.

    Paul Germain
     
    Et alors, ce dessin où on le voit, en fait, il visite une exposition à Bruxelles, de nouveau dans le musée Magritte, allusion au dessin « Ceci n’est pas une pipe » et Trump dit : « Fake news ».

    Pierre Kroll
     
    Voilà, il a une lueur d’intelligence. Oui, c’est quand même une pipe, puisque, … voilà. Il tombe dans le panneau de la question, de la question de Magritte, mais la petite anecdote amusante, c’est qu’en fait, il n’a pas visité le musée Magritte ce jour-là, mais sa femme, bien. Melania a visité le musée. Et le conservateur du musée, je peux le dire, m’a téléphoné, le dessin était publié le matin dans le journal, pour me dire : « Est-ce que je peux donner une copie de ce dessin à Madame Trump ? ». J’ai dit : « Mais oui, allez-y, allez-y, allez-y ! ». Donc, peut-être que j’ai créé un petit problème dans le couple ou quoi, qu’ils en ont discuté, est-ce que c’est vraiment une pipe ou pas ? Je sais pas.
     

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