Jacqueline Grévisse (Alliance française de Bruxelles-Europe, CELF)
À propos
Le monde change et avec lui les peurs des êtres humains et le vocabulaire. Ainsi, un nouveau mot vient d’être créé pour désigner l’angoisse d’être séparé de son portable. Mais quels en sont les symptômes ?
Voix off Nomophobie. On nous l’a dit : c’est le mot de l’année 2018 élu dans le monde anglo-saxon. Nomophobie était entré dans le Petit Robert en 2017 et nomme l’angoisse de se retrouver privé de son téléphone. Et pour cause, puisqu’on a mis sa vie dans l’objet en question : l’heure qu’il est, le courrier, le temps qu’il fait, ce que l’on sait, ce que l’on ignore, le lieu où l’on se trouve, les gens qu’on connaît, ceux qu’on va voir, où, quand, comment et pourquoi, des applications pour tout et pour tout le monde. Normal qu’en le quittant quelques instants, on se sent habité par un vide abyssal. Vient alors la fièvre accompagnée de palpitations : « je n’ai plus de batterie, y a-t-il un chargeur dans l’assemblée ? Pitié, libérez-moi, délivrez-moi ! » Trêve de plaisanterie. Mais d’où vient ce drôle de mot ? On reconnaît qu’il se compose de l’élément phobie qui renvoie en grec « phobos, phobia » à une fuite soudaine, due à une peur panique et souvent irrationnelle. En français, on a conservé l’idée de peur en ajoutant la notion d’aversion et parfois de dégoût ou de haine. En voici quelques exemples : claustrophobie, peur de l’enfermement ; amatophobie, crainte de la poussière, apopathophobie, peur d’aller à la selle et bien sûr l'hippopotomonstrosesquippedaliophobie, la peur des mots trop longs et on comprend pourquoi. Mais nous nous égarons. Le nomo de nomophobie n’est ni du grec ni du latin mais une drôle d’invention anglaise : l’apocope de no mobile phone, littéralement pas de téléphone portable. Qu’est-ce qu’une apocope ? Il s’agit de la troncation de la fin d’un mot et en l’occurrence d’un groupe de mots. Ce qui tombe bien en anglais, c’est que le pho de phobia se retrouve dans le phone de mobile phone. Ce qui n’est pas forcément le cas en français. On l’entend à la rigueur dans téléphone intelligent mais aussi dans smartphone, un anglicisme que l’on emploie en français. Mais que faire du portable en France et aux Antilles, du GSM en Belgique, du cellulaire au Québec et du natel en Suisse ? Qu’importe le nom pourvu qu’il y ait l’addiction.