Denise Époté, journaliste
N’Goné Fall, bonjour.
N’Goné Fall, architecte sénégalaise, commissaire générale de la Saison Africa2020
Bonjour.
Denise Époté, journaliste
Depuis juillet 2018, date de l’annonce officielle à Lagos par Emmanuel Macron de la Saison Africa2020, vous ne comptiez plus votre temps ni votre énergie pour faire de cette Saison une vitrine de la richesse des savoirs multiples du continent. Quelle signification revêt pour vous la date du 30 septembre 2021 ?
N’Goné Fall, architecte sénégalaise, commissaire générale de la Saison Africa2020
C’est une date symbolique tout comme celle du 1er juin 2018, puisque que j’ai commencé le chantier de cette Saison le 1er juin 2018 et que la Saison, tout comme moi, nous sommes arrêtées le 30 septembre 2021 au bout de quarante mois d’efforts ininterrompus. C’est un symbole parce que c’est une page qui se tourne dans ma vie, personnelle et professionnelle, mais c’est aussi un nouveau chapitre qui va s’ouvrir, pas seulement par rapport à la Saison mais par rapport à un courant, un mouvement panafricain de penseurs, de créateurs, d’activistes qui en fait depuis des décennies, on peut dire même des siècles, impacte et inspire des communautés sur tous les continents. Donc, la Saison Africa2020 est une sorte de momentum mais ça part d’un héritage et ça a aussi vocation à passer le relais aux générations futures.
Denise Époté, journaliste
Alors, à cause du report pour cause de pandémie, la Saison initialement prévue de juin à décembre 2020 s’est tenue de décembre 2020 à septembre 2021, 1500 événements ont été réalisés en partenariat avec des structures en France. Le regard de la France sur l’Afrique, ce continent qui a toujours été dépeint avec condescendance, a-t-il évolué selon vous et si oui, comment l’avez-vous perçu ?
N’Goné Fall, architecte sénégalaise, commissaire générale de la Saison Africa2020
Je pense qu’il va falloir du temps pour mesurer l’impact de cette Saison dans tous les secteurs que ce soit au niveau des comportements, au niveau des mentalités, au niveau aussi des pratiques professionnelles : ça n’a pas été facile, j’ai fait preuve de beaucoup de pédagogie et de compassion vis-à-vis de mes interlocuteurs qui avaient du mal à comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une Saison où il fallait célébrer l’Afrique, mais d’une Saison où il fallait avoir l’humilité et l’intelligence d’écouter, de regarder et de comprendre comment la société civile du continent africain abordait ce 21e siècle à travers treize grands enjeux. Donc, je pense que ça va prendre du temps.
Denise Époté, journaliste
Deux choses vous tenaient particulièrement à cœur dans cette Saison, ce sont les « Focus Femmes », il y en a eu 30, ainsi que les projets pédagogiques, il y en a eu 300, si je ne m’abuse. Quelles leçons vous avez tirées de ces échanges et est-ce que le désir d’Afrique a-t-il été suscité ?
N’Goné Fall, architecte sénégalaise, commissaire générale de la Saison Africa2020
Alors les « Focus Femmes », ça me semblait important. De toute façon, tous les opérateurs africains - puisqu’il y en a plus de 489 qui ont porté des projets en partant justement de ces questions de société - sont déjà dans une dynamique où il y a une forte attention justement aux équilibres : ne pas avoir trop d’hommes dans des projets, mais je voulais justement, par rapport à cette population qui représente plus de la moitié d’un continent qui en compte plus d’un milliard trois cents millions, qu’il y ait une sorte de sous-programme d’où ce « Focus Femmes » dans les arts, les sciences et l’entreprenariat. Ça me semblait extrêmement important qu’on puisse entendre justement ces femmes qu’on ne voit pas souvent, qu’on n’entend pas souvent et dédier ce volet à Olabisi Obafunke Silva qui était une grande militante féministe nigériane. Le volet éducation de la Saison, en fait le premier, le point de départ de cette Saison, c’est la diffusion des connaissances. Et je voulais que cette Saison, en fait je l’ai conçue comme une plateforme collaborative de production, de diffusion de savoirs, d’idées et de pensées. Et c’est dans cet esprit qu’on est allé chercher le ministère de l’Éducation nationale de la Jeunesse et des Sports en France pour ensemble mettre en place un dispositif pédagogique. Donc il y a eu en effet plus de 350 projets portés par le ministère avec des écoles de la maternelle au lycée, en comptant tous les lycées techniques, agricoles et les lycées, les filières classiques mais également des établissements d’enseignement supérieur que ce soit Sciences-Po, le campus de Reims, l’École de mode Duperré à Paris ou par exemple la Haute École des Arts du Rhin. Et je pense que c’est véritablement à travers ce volet-là qu’on va voir sur le long terme ce que cette Saison aura produit comme, on va dire, bascule d’a priori, de faire tomber des clichés et d’avoir une connaissance juste de ce continent par rapport à son histoire et par rapport à son vécu. Ça, c’est aussi le partenariat avec l’UNESCO à travers L’Histoire générale de l’Afrique dont les onze volumes ont été transformés en outils pédagogiques, offerts symboliquement à la France et dans le cadre de la Saison Africa2020 avec le ministère et l’UNESCO, nous avons formé 150 professeurs des écoles et nous sommes en train de produire des fiches pédagogiques à travers un plan national de formation. Donc, c’est enseigner l’Afrique par rapport à des outils validés par les Africains à travers l’Union africaine qui nous représente. Pour moi, ça c’était un des aspects les plus importants pour aussi rappeler que cette Saison n’est pas qu’un projet événementiel.