Le contexte Bienvenue sur Géopolitis.
« La musique, c'est du bruit qui pense ! » Ça, c'est ce que disait Victor Hugo. Et Hector Berlioz commentait : « La musique et l'amour sont les deux ailes de l'âme » ! Oui, la musique, en particulier la musique classique est porteuse d'émotion, elle véhicule un message, elle est un langage, et comme tout langage, elle sert aussi à faire de la politique, ou plutôt, dans la mesure où elle est universelle, elle fait de la « géo-politique ».
De la géopolitique, ce serait, par exemple, un orchestre symphonique qui, toute politique mise à part, mêlerait des jeunes Israéliens et des jeunes Arabes : eh bien, ça existe, déjà, depuis plus de 10 ans, c'est la formation voulue et crée par un Israélien célèbre, Daniel Barenboim, et par un Palestinien non moins illustre, Edward Said. Cet orchestre s'est produit dans le monde entier, et même, c'est dire, en territoire palestinien et sur le sol israélien. Voilà qui contraste heureusement avec la terrible image historique d'un régime nazi prompt à confisquer tant de musiques et tant de musiciens à son profit. Geopolitis pose la question : la musique classique peut elle donner le ton dans le domaine de la géopolitique ?
Ces temps-ci, l'OSR, l'orchestre de la Suisse Romande, se produit en Russie, après une tournée en Allemagne et en Autriche. Un orchestre bientôt centenaire, fondé en 1918 par le célébrissime chef d'orchestre Ernest Ansermet, un orchestre qui, en 2003, faisait sensation en se produisant à l'ONU, dans la salle même de l'assemblée générale des Nations Unies à New York. Restons à l'ONU : ici, à Genève, vient de se créer un orchestre des Nations Unies, dont l'une des premières représentations avait pour titre : « musique pour la paix ». Ansermet, celui qui dirigeait les ballets russes, l'homme qui faisait découvrir Igor Stravinsky et apprécier Claude Debussy, avait un regard très incisif sur la musique. Et en tout cas, en philosophe pétri d'interrogations, il a considéré, jusqu'au bout, que la musique, politique ou pas, demeurait un mystère.
Ernest Ansermet était un homme de paix, mais il n’est pas, il n’a pas été le seul : outre Daniel Barenboim, déjà cité, il y a le violoncelliste Yo Yo Ma, messager de la paix des Nations Unies, plus ancien, il y a Rostropovitch, dont l'instrument, le violoncelle, avait une résonnance politique, il y a, pour rester dans l'ancienne Union soviétique, Dimitri Chostakovitch, qui eut des heurs sous Staline, puis des malheurs, sous le même Staline, déclaré officiellement « ennemi du peuple » et seul Prokofiev eut le courage de le défendre. Autres temps, mais mêmes combats politico-musicaux : l'auteur de Zorba le grec, Mikis Theodorakis, musicien, compositeur, penseur, parlementaire, réfractaire à toute dictature. Écoutons aussi Jordi Savall, ambassadeur de la paix de l'UNESCO, qui, avec sa compagne la cantatrice Montserrat Figueras, récemment disparue, a construit un magnifique cantique à la gloire de Jérusalem : un double CD qui explique, je cite : trois religions, deux paix, une musique. Tout un programme.
Le reportage
Tout le monde s’approprie la 9e symphonie, pourquoi ?
Voilà une ode à la joie qui ne connaît ni frontière ni restriction. C'est en 1824 que l'on crée à Vienne cette 9e symphonie. En 1846, Wagner la magnifie : elle devient un symbole du rapprochement entre les peuples. Et puis, c'est au tour de l'Europe de tomber sous le charme : en 1972, l'entité européenne en quête d'unité politique demande à Herbert von Karajan d'en faire un arrangement.
L'ONU s'en mêle, même les plus jeunes doivent s'exécuter au rythme de Beethoven. Mais ce n'est pas tout, voilà que le Japon confisque la 9e et en fait le rite de passage de chaque fin d'année.
Musique et guerre : mauvais exemples ?
C'est de l'histoire, c'est l'Histoire: dès leur arrivée au pouvoir en 1933, les nazis ont détourné et récupéré à leur profit, les grands classiques, la grande musique et les grands musiciens. En 1937 comme en 1942, sous la baguette du chef d'orchestre Wilhelm Furtwängler, on jouait la 9e symphonie pour célébrer l'anniversaire de Hitler. Furtwängler, qui, lui, n'adhéra jamais au parti national socialiste, contrairement à son grand rival Herbert von Karajan. Un homme comme Furtwängler devait expliquer, après la guerre, que quitter sa patrie n'avait jamais été pour lui une option, lui qui se définissait comme un artiste non politique et comme un ardent patriote. Musique classique et IIIe Reich : les débats ne sont pas encore complètement clos, sauf sur un point : la musique, quelle qu'elle soit, ne saurait être impunément détournée au profit d'une idéologie.
Musique et paix : bons exemples ?
C'est le chef d'un ensemble philharmonique qui pourrait s’appeler « le monde en harmonie » : le pianiste et chef d'orchestre israélien d'origine argentine Daniel Barenboim. À un parcours artistique remarquable, Barenboim a voulu superposer un parcours politique non moins remarqué : avec son complice le Palestinien Edward Said, il a créé dès 1999, cet orchestre nommé le West Eastern Divan Orchestra, divan, cela veut dire « une collection de poèmes ». Cet ensemble regroupe actuellement des jeunes musiciens venant d'Israël et de tous les pays arabes limitrophes. Un concert sous haute sécurité a eu lieu à Ramallah, en 2005, c'est d’ailleurs la police palestinienne qui a dû protéger les musiciens israéliens. Charge aux autorités israéliennes de protéger aussi les musiciens arabes. Des concerts, l'orchestre en a donné dans le monde entier. Mais le plus audacieux eut lieu pendant l'été 2002, en pleine deuxième intifada, lorsque Barenboim, en dépit de l'interdiction formelle de la Knesset, décida, à Jérusalem même, de jouer du Wagner, proscrit en Israël depuis la Nuit de Cristal en 1938. Daniel Barenboim est désormais messager de la paix des Nations Unies. Grâce à la musique ou pour la musique.
L’éditoLa Chine ne se demande pas si la musique fait de la géopolitique. La Chine fait de la géopolitique au moyen de la musique. Et pour ce faire, Pékin a su jouer et sur l'instrument et sur l'instrumentalisation. Sachez que sur 10 violons vendus dans le monde, 7 sont « made in China ». Eh oui, la Chine est, là encore, première de la classe, elle fabrique 1 million de violons par an, et 6 millions de guitares ! Des instruments qui, aux dires des experts occidentaux, s'avèrent être d'un excellent rapport qualité/prix. Donc, le luthier du monde est chinois. Quant à l'instrumentalisation de la musique, elle est voulue, jouée et interprétée d'une manière totalement politique par cette Chine communiste et capitaliste qui a transformé la musique classique en un étonnant symbole de ce que l'on peut appeler le soft Power chinois. Fini le temps où, c'est un exemple, on considérait les pianistes chinois comme des musiciens de second ordre, techniquement au point, mais déficients, forcément, au niveau de la sensibilité. La Chine de 2012 est en train de rivaliser avec l'Occident sur son propre terrain, plus exactement dans le domaine même où cet Occident se sentait et se sent parfois toujours supérieur : la culture.