Maryne, carreleuse mosaïste
Ce qui a été le plus dur, c’était au début, parce que j’étais toute fine. Je n’étais pas forcément adepte des salles de musculation. Ça a été dur de se former. Il m’a fallu bien six mois un an avant que mon corps prenne les muscles, la corne… Il faut, je pense, une petite force, quand même, mentale. Ça, c’est inéluctable. Mais on trouve aussi des stratégies pour se soulager. Le fait d’être en binôme, on divise le poids, donc forcément c’est plus facile. OK, là, c’est l’heure d’aller aux toilettes. J’ai de la chance, parce que sur ce chantier, il y en a. C’est très rare. Ça, c’est du grand luxe ! Petite toilette avec chasse d’eau et papier toilette ! En général, quand j’arrive sur un chantier, donc je me présente : « Maryne, carreleuse ». Et je sens tout de suite que je suis jugée, donc en tant que femme. En général, ils vont se mettre un peu de côté, voir comment je travaille, voir un peu si je suis propre, si je suis organisée, si quand ils me parlent, je comprends. Et seulement après, ils vont venir parler, faire un peu plus connaissance. Mais voilà, il y a toujours cette barrière au début, d’a priori.
Trop jolie ?
Non, mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Elle vient faire le ménage ? Ah bon ? Mais tu fais quoi ? Tu es vendeuse de carrelage ? Ah ben vous travaillez dans le bâtiment, on ne dirait pas ! Ça va être « mais t’es une fille, tu fais du carrelage. T’es trop jolie pour faire ça. » Ça ne me viendrait jamais à l’esprit de dire ça à un homme ! À aucun moment. Je n’en ai pas d’autres qui me viennent, là. Pourtant Dieu sait que j’en ai eu. Rien que mes parents, côté paternel. Mon père, il m’a dit « mais avec tes petits bras, tu n’y arriveras jamais ! » Et mon grand-père, il m’a dit « On va aller chercher un métier féminin sur Internet. » Voilà !
Et maintenant ?
Eh bien… Ils l’ont accepté, même mon père qui a pris son téléphone un jour pour m’appeler et me dire « J’ai besoin de toi pour la salle de bain. Est-ce que tu peux venir ? » J’ai dit « Je ne sais pas. Avec mes petits bras, je ne sais pas si je vais réussir. » Bon, c’était pour rigoler, mais c’était pour lui rappeler que j’avais eu droit à ma petite réflexion, eh bien, à ton tour. Donc voilà, je lui ai refait sa salle de bain, il était content.
Homme
Qu’est-ce qui vient de t’arriver ?
Maryne, carreleuse mosaïste
J’ai fait riper mon ongle sur la table. Putain !
Homme
Du coup.
Maryne, carreleuse mosaïste
Eh bien faut que je casse l’autre.
Homme
Super !
Maryne, carreleuse mosaïste
Hop !
Homme
Donc les ongles dans le bâtiment, c’est mort.
Maryne, carreleuse mosaïste
C’est non.
Homme
C’est non.
Maryne, carreleuse mosaïste
Moi, j’ai toujours été… Tu vois, je n’ai jamais beaucoup cru en moi. J’ai toujours été « Non, je n’y arriverai pas, je n’ai pas eu mon bac, je n’ai pas eu ci, je n’ai pas eu ça… » Et en vrai si vraiment tu aimes ce que tu fais et que tu t’en donnes les moyens, mais c’est à 100 % que tu y arriveras. J’en suis la preuve, vraiment ! J’y suis arrivée, j’ai eu tous mes diplômes. Aujourd’hui, je suis à mon compte, mais c’est… Pour moi, c’est le Saint Graal1 !
Texte affiché à l’écran
Entre 12 et 14 % des métiers du bâtiment en France sont exercés par des femmes en 2022. En 2023 dans le monde, 6 % des ouvrier.e.s de construction sont des femmes.
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1 Le Graal est un objet mythique ou mystique, objet de la quête des chevaliers de la Table ronde. À partir du 13e siècle, il est assimilé à la coupe utilisée par Jésus et ses disciples pendant la Cène, et qui a recueilli le sang du Christ et prend le nom de Saint Graal.
Aujourd’hui, le Graal désigne l’objet d’une quête difficile.