Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité Bonjour Martine Laroche-Joubert.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Bonjour.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Quarante-cinq ans de journalisme, les trois quarts en reporter de guerre, Les mémoires d’une femme au front , c’est ce que vous publiez dans ce livre incroyable au Cherche Midi qui raconte finalement comment la jeune fille que vous étiez au Maroc, dans votre enfance, avait décidé un jour qu’elle irait au plus près des conflits, au plus près de ce qu’il y a de pire finalement dans l’humanité.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Je ne l’ai pas vraiment décidé, ça s’est fait petit-à-petit. Quand j’ai commencé le journalisme, j’ai traité beaucoup des faits divers, des faits de société, et je ne me sentais pas forcément très bonne là-dedans. Et c’est quand j’étais confrontée en effet à des reportages difficiles, quand on a commencé à m’envoyer là-bas, que j’ai senti que j’arriverai à bien traiter ces sujets. Je me suis sentie à ma place pour retransmettre au mieux…
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
… ce que je voyais. Je n’ai pas eu peur, je n’ai pas cédé à la panique, et c’est pour ça que j’ai continué dans cette voie.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui, mais, une volonté, au fond, de chercher la vérité. Et vous dites dans ce livre, au fond, dans votre enfance au Maroc, déjà vous aviez pris conscience de ce qu’était le racisme…
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
… de ce que pouvait être l’injustice.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui, en effet. J’ai vécu une année géniale quand j’étais toute petite, à quatre ans, au pied de l’Atlas dans un petit village où mon père avait été envoyé en mission. Et puis, après, quand je suis allée à Rabat et à Casa, je me posais des questions et je ne comprenais pas pourquoi on donnait des ordres aux Marocains. Je me demandais ce qu’on faisait là, nous, les Blancs, les Français. Je ne comprenais pas et je ne pouvais m’ouvrir à personne de ces questions parce que je n’arrivais même pas à les formuler en réalité.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
C’était en moi-même que j’avais une sensation de malaise.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui, oui. Mais qui va donc vous donner cette envie d’être journaliste, d’être reporter de guerre et, au fond, d’aller partout dans le monde là où la vie est en jeu. La vie ou la mort. Et risquer aussi votre vie, vous-même, Martine Laroche-Joubert.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui, parce que dans ce genre de situation, il y a une intensité folle. Tout est une question de vie ou de mort. Ce sont des endroits où je vois des héros, des gens en général complètement anonymes. Et dans ce livre, je voulais aussi leur rendre hommage, parce que je parle de personnages connus comme Nelson Mandela, mais je parle aussi de gens complètement inconnus et qui ont joué un rôle. Par exemple, une jeune femme, Isabelle Achour qui a brisé le siège de Sarajevo en 1992 pour y faire entrer des médicaments. Je pense à Salwa Bougaighis, une autre femme qui était l’une des meneuses de la révolution en 2011 contre Kadhafi. Elles ont été toutes les deux assassinées.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui, C’est ça parce qu’au fond, ces héros payent de leur vie leur engagement.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui, exactement.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Et vous nous dites au fond dans ce livre, on peut finalement offrir sa vie à une cause.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui, et ces deux jeunes femmes ont été assassinées, ce n’est certainement pas un hasard. Je parle aussi beaucoup d’une personnalité africaine que j’aimais énormément avant qu’il ne soit lui-même assassiné, c’était Thomas Sankara. Thomas Sankara avait des discours qui étaient incroyables. Bon, anticolonialistes bien sûr, mais aussi féministes, écologiques. Et lui aussi, il a été assassiné à la fin des années 80. Donc, je voulais… J’ai fait en reportage les circonstances de son assassinat, c’est ce que j’ai couvert, c’est ce que j’ai suivi. Et je voulais aussi ranimer sa mémoire. Mais je sais aussi qu’en Afrique, il y a beaucoup de jeunes Africains qui se réclament de lui. Vous voyez. Tous ces gens-là… Tous ces gens, par exemple, qui… à Alep, il y avait un asile de handicapés mentaux sur la ligne de front en pleine guerre et j’ai vu des bénévoles qui, sous les tirs, allaient leur prêter assistance, s’occuper d’eux…
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
…les habiller, les nourrir.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Au fond, vous voyez des messages d’espoir dans la guerre…
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
… dans ces moments, les pires.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui, dans ces moments, les pires, il peut y avoir des gens absolument extraordinaires. Il y avait dans les caves d’Alep, ou alors dans des écoles dont les vitres avaient explosé sous le souffle des bombes, donc, les vitres avaient été remplacées par des cartons pour empêcher que le froid ne frigorifie trop les enfants. Et là, il y avait des professeurs, enfin des instituteurs, qui venaient pour leur apprendre à lire, à écrire, à la lueur des bougies. Ils n’avaient pas de cahiers, ils n’avaient pas de crayons. Tous ces gens-là…
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Au fond, c’est ça que vous alliez chercher, Martine Laroche-Joubert ?
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Voilà.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
C’est ça que vous voulez aussi montrer au monde ?
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Ouais. Moi, je veux montrer comment sont les gens dans les périodes de guerre. Il y a des gens qui sont des traîtres. Il y a des gens qui font des choses absolument atroces. Il y a des massacres horribles. Mais, il y a en même temps des gens qui sont incroyablement courageux et qui donnent… qui sont prêts à donner leur vie…
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
… pour aider les gens.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui, mais ça, ça a été votre cas aussi, Martine Laroche-Joubert, vous auriez été prête à donner votre vie. Parce qu’au fond, vous avez failli mourir.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui…
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Votre voiture, dans laquelle vous auriez dû vous trouver, va être la cible d’un tir et exploser. Vous allez être blessée vous-même.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui… c’est vrai. Mais… Bon, je ne suis pas quand même kamikaze. Je ne suis quand même pas tête brûlée. Voilà. Après, vous savez, c’est toujours dans une équipe, parce que je travaille en équipe, toujours avec un JRI, on y va ou on n’y va pas ? Et on va jusqu’où ? Voilà. Ça se joue à l’instinct, à la confiance mutuelle. Quelquefois, on y va. Quelquefois on n’y va pas. Mais, je pense aussi à… Je voulais aussi expliquer ce qu’est ce métier de grand reporter et expliquer en effet pourquoi certains sont prêts à risquer leur vie pour ramener une information.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui. Et certains sont morts.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Voilà.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Vous en citez évidemment.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Et je pense par exemple à Gilles Jacquier qui a été tué à Homs en janvier 2012. Je pense à lui et à bien d’autres encore, voilà. Et à un moment où ce métier est menacé, souvent pour des raisons financières ou politiques. Je voulais montrer, expliquer ce qu’est ce métier. Pourquoi il est indispensable.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
C’est un plaidoyer parce qu’au fond, vous dites : c’est menacé. Vous dites aussi dans ce livre à un moment donné c’est que, bientôt, on n’aura peut-être plus ces reporters de guerre qui vont aller témoigner de la vérité.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui, parce que, à la fois… Bon, ça coûte cher d’envoyer des reporters sur le terrain. Que les financiers dans les rédactions ne comprennent pas du tout… ou pas toujours en tout cas, ce qu’on fait. Qu’il y a des patrons de presse qui sont un peu frileux et qui cèdent devant ces comptables.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Et qui parfois vous interdisent d’y aller. Ou qui même parfois, lorsque vous racontez que vous avez failli mourir, ont l’air de s’en foutre. On va dire les choses franchement.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Ouais. Oui, oui, oui, certains, oui, complétement. Et, ça c’est le gouffre qui existe souvent, quelquefois, disons pas toujours, mais entre les hiérarchies et les reporters sur le terrain à Paris. Mais enfin, quoi qu’il en soit, partir en reportage… C’est vrai que partir en reportage, c’est souvent un combat au sein même des rédactions parce que nous, on a envie de partir, on est freiné par diverses forces et il faut continuer. Il faut continuer, je pense, parce que les journalistes aussi ont un rôle pour sauver le monde. Je pense que, sur le terrain, j’ai rencontré des personnalités visionnaires, et s’il n’y a pas des journalistes pour les rencontrer, pour leur tendre un micro, ça peut se passer mal. Il faut aller voir. On ne peut pas apprécier une situation à Paris, les téléspectateurs, s’il n’y a pas des journalistes qui vont sur le terrain pour leur expliquer ce qu’il se passe.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui. Oui, mais vous auriez parfois aimé un peu changer le cours du monde. Vous dites, par exemple, que vous constatez quelque part votre échec aussi, lorsque vous voyez que Assad est toujours au pouvoir.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Oui.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Et c’est qu’au fond, il y a parfois des moments où votre témoignage est inutile, presque, dans le vide.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Alors… Oui, j’ai eu ce sentiment en Yougoslavie aussi, où j’avais l’impression quand je suis rentrée à Sarajevo, que les reportages que nous envoyions étaient tellement violents, c’était un siège moyenâgeux. J’avais l’impression que dans l’Europe, les leaders politiques allaient réagir tout de suite. Pas du tout. Le siège a duré trois ans et huit mois. J’ai eu le sentiment aussi de cette impuissance, en effet, en Syrie, quand je vois que Bachar el-Assad est toujours au pouvoir. J’ai l’impression que j’aurai fini mon travail quand il aura quitté le pouvoir. Voilà. Je ne sais pas quand ça va se passer. Je me dis que quand il le quittera en tout cas, je me dirai peut-être que mes reportages ont été… un peu utiles. Utiles ou pas, il faut quand même être sur le terrain. Il faut y aller.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
Oui. Merci, en tous les cas pour cette passion. Martine Laroche-Joubert, Une femme au front, les mémoires d’une reporter de guerre , publié au Cherche Midi.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Merci.
Patrick Simonin, présentateur de l’émission l’Invité
C’est assez exceptionnel, ce témoignage. Merci beaucoup, Martine.
Martine Laroche-Joubert, journaliste, reporter de guerre
Merci.