Le reportage (Web magazine de TV5MONDE, les Haut-Parleurs)
Avez-vous voté aux dernières élections ?
Journaliste des Haut-parleurs
Vous avez voté en 2014 à Roubaix ?
1er jeune interviewé
J’ai l’impression d’avoir fait plus pour le maire de Roubaix qu’il a fait pour moi.
2e jeune interviewé
Ah ah ah ah !
3e jeune interviewé
Ça fait 25 ans que je suis né, ça fait 25 ans que j’ai rien vu changer.
4e jeune interviewé
J’ai voté par défaut. Dans les configurations Le Pen machin, Le Pen truc.
Le problème vient-il des candidats ou des électeurs ?
Michel Issindou, député PS de l’Isère
Si chacun faisait l’effort de comprendre comment fonctionne la société, peut-être qu’il arriverait à trouver le candidat de son choix.
2e jeune interviewé
Il y a plus d’électeurs que d’hommes politiques ! Comment ça, nous on va changer ? C’est à eux de changer, ils sont pas beaucoup ! C’est un malade, ce mec ! Ah ah ah ah ! C’est un malade, lui !
1er jeune interviewé
Ils pourront pas changer les gens de toute façon. C’est plein de vieux qui font des débats avec leurs problématiques mais pas les nôtres. Ça me donne pas envie de regarder. Je préfère regarder un match de Ligue des champions par exemple ou venir jouer au foot le dimanche plutôt que d’aller voter, oui.
3e jeune interviewé
Je pense qu’il devrait y avoir plus de représentants qui viennent de la France d’en bas entre guillemets, que ce soit un peu plus diversifié.
2e jeune interviewé
C’est eux qui sont pas, qui sont déconnectés de la société. Ils ne connaissent même pas le prix d’un pain au chocolat et il va venir nous dire que c’est à nous de changer.
4e Jeune interviewé
Maintenant après, y a personne qui te représente à 100 %, c’est pas vrai. Enfin, si tu veux être représenté, alors présente-toi !
2e jeune interviewé
On est arrivé dans un cul-de-sac. Ils font leur vie, on fait la nôtre. Ils vont crever, c’est tout !
Tu les vois à la télé, ils parlent euh hein… déjà personne parle comme ça.
Le vote est-il la seule façon de s’impliquer en politique ?
Qu’est-ce que vous, vous pensez des abstentionnistes ?
Raphaël Enthoven, animateur de radio et de télévision
Oui, d’accord. Écoutez, que ce sont des fainéants et des ingrats, des irresponsables qui s’en remettent à des gens qu’ils n’ont pas élus pour gérer les transports, la culture ou les lycées.
3e jeune interviewé
La meilleure façon serait de voter blanc, peut-être…. parce que… mais bon, ce serait quand même faire un effort. Et participer, participer à cette élection si on n’est vraiment pas d’accord avec tout ce qui se passe autour de ça, s’abstenir peut être aussi considéré comme une démarche politique.
La discussion
Silvia Garcia, présentatrice de Kiosque
Alors, vous pouvez voir cet épisode des Haut-parleurs en entier sur notre page Facebook. Je vous le recommande vivement, c’est assez rafraîchissant. Ce jeune qu’on entendait à la fin qui nous dit : « s’abstenir est une démarche politique ». Est-ce que pourtant l’abstention n’est pas, par définition, improductive ? Je me tourne vers vous puisque vous prônez, vous, l’abstention.
Antoine Buéno, essayiste et chroniqueur
Oui, alors moi, je démontre dans mon livre No vote ! Manifeste pour l’abstention que justement, l’abstention n’est pas du tout improductive, elle peut être réformatrice. Alors je sais que c’est une idée un peu contre-intuitive. On n’a pas l’habitude de penser à ça. On se dit : « bon très bien, on s’abstient, et après qu’est-ce que ça change ? ». Bah moi je vais vous dire en quoi l’abstention a été et est toujours réformatrice, c’est que vous avez un certain nombre de réformes de notre système institutionnel qui sont intervenues depuis 20, 25, 30 ans qui ont été prises - ces réformes-là - pour différentes raisons, mais en particulier sur le fondement d’un baromètre quantitatif qui est celui de l’abstention. Et à l’avenir, et c’est là que vraiment les choses pourraient changer, l’abstention pourrait être réformatrice non plus seulement à l’aveuglette, comme ça, par interprétation du système politique, mais activement ! Parce que si demain, vous avez 1 million de personnes qui disent : « bah écoutez, nous, on s’abstient sauf si les candidats nous proposent des réformes institutionnelles » par exemple, tiens au hasard…
Silvia Garcia, présentatrice de Kiosque
Mais alors, comment ils se feraient entendre puisque en général un électeur se fait entendre dans les urnes. Si vous êtes abstentionniste, comment vous vous faites entendre ? C’est tout le paradoxe !
Antoine Buéno, essayiste et chroniqueur
C’est absolument plus paradoxal. Ça ne vous a pas échappé que le monde avait énormément évolué : il y a Internet, il y a les réseaux sociaux. Et aujourd’hui les moyens de s’exprimer et de regrouper cette forme d’expression sont tout à fait mûrs d’un point de vue technique et sont mûrs aussi dans les mentalités.
Et quand je parlais de commencer à se regrouper en tant que citoyens pour demander des réformes institutionnelles, je pensais par exemple à un mandat présidentiel unique qui changerait quand même beaucoup la donne dans nos institutions pour lutter contre le clientélisme et le carriérisme ou à la reconnaissance du vote blanc - j’imagine qu’on va revenir sur le vote blanc - là vous changez structurellement le rapport de force entre un électeur qui est atomisé, qui ne peut rien face à l’offre électorale et cette offre électorale qui, aujourd’hui, décide de tout.
Silvia Garcia, présentatrice de Kiosque
Je me tourne vers le Suisse autour du plateau puisque les Suisses, on le sait, votent beaucoup, beaucoup, beaucoup, tous les 3, 4 mois. Qu’est-ce que vous en pensez, vous, de l’abstention ? C’est une bonne ou c’est une mauvaise idée, sachant que le taux, les taux de participation en Suisse sont quand même plutôt bas.
Stéphane Bussard, journaliste au quotidien Le Temps
C’est ça. Alors effectivement, en Suisse on vote tous les 3, 4 mois. Les citoyens ont la possibilité de lancer ce qu’on appelle des référendums ou des initiatives et, grosso modo, il y a une participation d’environ 45 % en moyenne, à peu près. Et donc, il y a une certaine fatigue aussi qui s’instaure… D’un autre côté, c’est une espèce de tampon peut-être par rapport au populisme et le gouvernement se sent peut-être un peu moins sous pression par rapport, justement, aux vagues populistes dans le sens où ça tempère un peu les aspirations de la population. Juste un mot sur l’abstention. L’abstention, je sais pas s’il faut l’appeler de ses vœux ou pas mais elle peut aussi avoir des conséquences. Je donne un exemple aux États-Unis lors de la dernière élection présidentielle, les jeunes se sont abstenus, les Afro-Américains n’ont pas beaucoup voté et l’élection de Donald Trump s’est jouée à 0,2 %, 0,8 % et 0,7 % des voix dans trois états du Midwest.