Denise Époté, présentatrice de l’émission Et si... vous me disiez toute la vérité
Naomi Dick Kaba, bonjour.
Naomi Dick Kaba, médecin, fondatrice du Hakili Nafaya Institute
Bonjour Madame Époté.
Denise Époté, présentatrice de l’émission Et si... vous me disiez toute la vérité
Vous avez assisté à la quatrième Conférence internationale sur la santé mentale en Afrique1 qui s’est tenue au Zimbabwe, un pays où le déficit de soins en matière de santé mentale est flagrant. On compte moins de 20 psychiatres dans le pays pour une population estimée à 16 millions d’habitants. Mais le cas du Zimbabwe n’est pas unique. Pour quelle raison cette problématique ne fait-elle pas partie des urgences en matière de santé publique ?
Naomi Dick Kaba, médecin, fondatrice du Hakili Nafaya Institute
Alors, je précise que la conférence qui s’est tenue ici, au Zimbabwe, concernait plus particulièrement la santé mentale maternelle, donc des femmes enceintes et en période de post-partum. Alors, pour répondre à votre question, déjà c’est vrai qu’il y a un manque criant de financement pour tout ce qui est... au sujet de la santé mentale. Quand on prend les financements de l’aide internationale qui vont spécifiquement à la santé publique, on voit que moins de 1 % vont à des programmes de santé mentale. Et les raisons, en fait, elles sont multiples et elles sont, j’ai envie de dire, dues à des barrières bien souvent culturelles, et je peux en parler de façon assez... en profondeur et en témoigner parce que j’ai eu moi-même à accompagner une personne de ma famille qui était, donc, atteinte d’un trouble psychiatrique grave. Et je peux vous dire que, premièrement, il y a des tabous et une certaine pudeur, j’ai envie de dire, qui est dans notre culture, qui fait qu’on ne va pas parler forcément de nos sentiments. Quand vous avez un palu2, vous avez de la fièvre. Quand vous avez un bras cassé, on va vous mettre un plâtre. Mais quand vous souffrez d’une dépression, que vous avez des troubles anxieux, c’est pas forcément visible à l’œil nu. Donc, il y a cette invisibilisation-là, d’une part. Ensuite, maintenant, quand les problématiques sortent et qu’on3 a des états de psychose, par exemple, qui ne sont plus possible à cacher, très souvent, le réflexe des familles, des communautés, ça va être de s’adresser à soit des tradipraticiens4, soit à des leaders religieux que ce soit des imams, que ce soit des pasteurs... Donc, on va pas avoir ce réflexe de voir la problématique comme un problème médical, mais plutôt comme un trouble d’ordre spirituel. Et puis, j’ai envie de dire que s’ajoute à ça aussi une certaine stigmatisation. Il y a encore une certaine honte dans nos pays à dire qu’on5 va voir un psychologue, un psychiatre. Ou de façon très triviale, on va vous dire que non, c’est un problème de Blancs. Donc je pense qu’il y a toutes ces barrières-là qui font que le problème est invisibilisé dans nos pays.
Denise Époté, présentatrice de l’émission Et si... vous me disiez toute la vérité
Et quelles leçons vous avez tirées de cette conférence de Victoria Falls6 ?
Naomi Dick Kaba, médecin, fondatrice du Hakili Nafaya Institute
Alors, plusieurs. Déjà, ça nous a permis de mettre en lumière des chiffres qui sont choquants, qui m’étonnent toujours autant. Faut savoir que, quand on prend la population mondiale à l’heure où on parle, il y a plus d’un7 milliard de personnes qui sont atteintes8 d’un trouble de la santé mentale. Et quand on regarde, ce qui est frappant et choquant, c’est que dans nos pays, il y a seulement 10 % de ces personnes-là qui ont accès à un traitement. Donc c’est vraiment... ce sont des chiffres catastrophiques qui nous interpellent tous. Et maintenant, quand on s’intéresse de façon un peu plus précise à la santé mentale maternelle, donc des femmes en état de grossesse ou en post-partum, on voit que la complication la plus fréquente en réalité, ce sont des troubles de la santé mentale. Il y a une femme sur cinq qui va connaître au cours de la périnatalité, un trouble de la santé mentale. Les plus courants étant la dépression, les troubles anxieux, mais ça peut aller aussi vers des choses peut-être moins fréquentes, mais tout aussi graves, les troubles obsessionnels compulsifs ou des psychoses, par exemple la psychose puerpérale9.
Denise Époté, présentatrice de l’émission Et si... vous me disiez toute la vérité
Quelles sont les singularités de la santé mentale des femmes, la santé mentale maternelle des femmes ?
Naomi Dick Kaba, médecin, fondatrice du Hakili Nafaya Institute
Alors... J’ai envie de dire qu’ils sont de deux composantes. Vous avez déjà ce qui est de l’ordre des facteurs intrinsèques, le fait d’être une femme biologiquement. On va avoir des périodes d’achoppement dans la vie d’une femme, des périodes de vulnérabilité qui sont souvent dues à des changements hormonaux. Donc on a parlé de la période de la grossesse, qui va être une période de vulnérabilité forte, du post-partum. Il y a aussi l’adolescence, mais vous avez aussi la période de péri ou alors de ménopause qui est aussi une période où le risque est accru10 pour la femme de développer des troubles de la santé mentale. Donc vous avez d’un côté ces facteurs intrinsèques et de l’autre côté, il y a tous11 les facteurs extrinsèques, on va dire, qui sont plus, cette fois-ci, de l’ordre de la société. Et en fait, on parle de quoi ici ? On parle de la pression sociale qu’il y a dans nos pays, de la condition de la femme. C’est vrai qu’on est élevées... on nous dit souvent dans nos pays « attrape ton corps, attrape ton cœur ». La femme doit être forte, la femme doit supporter la douleur. La femme africaine ne doit pas accoucher avec une péridurale. La femme africaine, lorsqu’elle a un enfant qui est malade, qui porte un handicap, c’est forcément de sa faute. La femme africaine, lorsqu’elle est dans un couple qui connaît l’infertilité, c’est forcément de sa faute. Vous avez tous ces facteurs-là, la pression sociale du mariage, de montrer que tout va bien dans son foyer, etc. Et puis vous avez aussi, là je rentre un peu dans le dur, mais tout ce qui est les violences basées sur le genre. Faut savoir par exemple qu’il12 y a 25 % des femmes qui ont subi des violences sexuelles, qui vont développer un syndrome de stress post-traumatique. Et je ne vous parle pas de toutes les pratiques néfastes, que ce soit l’excision, que ce soit les mariages précoces, que ce soit les grossesses des adolescentes. Quid de tout cela sur la santé mentale des femmes dans nos pays.
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[1] Il s’agit en fait de la 3e Conférence internationale sur la santé mentale maternelle en Afrique (ICAMMHA) qui s’est tenue à Victoria Falls, au Zimbabwe, du 3 au 5 décembre 2024. L’ICAMMHA est dédiée à l’avancement de la recherche et de la pratique en santé mentale maternelle en Afrique et réunit des experts, des parties prenantes et des défenseurs des droits pour stimuler l’innovation et favoriser la collaboration. (Source : https://www.icammha.com/).
[2] Abréviation pour « paludisme », maladie potentiellement mortelle qui est transmise à l’être humain par les piqûres de certains types de moustiques dans les pays tropicaux. (Source : Organisation Mondiale de la Santé).
[3] Ce mot a été modifié par rapport à ce qu’on entend dans la vidéo : « que* on ».
[4] En Afrique, un tradipraticien (ou « guérisseur ») est une personne pratiquant une forme de médecine traditionnelle. (Source : dictionnaire Larousse).
[5] Ce mot a été modifié par rapport à ce qu’on entend dans la vidéo : « que* on ».
[6] Victoria Falls est une petite ville du Zimbabwe située à l’extrémité ouest des chutes Victoria, qui figurent parmi les plus grandes cascades du monde. (Source : Wikipédia).
[7] Ce mot a été modifié par rapport à ce qu’on entend dans la vidéo : « de* un ».
[8] Ce mot a été modifié par rapport à ce qu’on entend dans la vidéo : « atteints* ».
[9] La psychose puerpérale est différente du baby blues ou de la dépression du post-partum. Il s’agit d’un trouble psychiatrique grave qui survient le plus souvent dans la semaine qui suit l’accouchement et qui se caractérise par un état de confusion et de délire pouvant mettre en danger la mère mais aussi son enfant. (Source : Centre hospitalier Théophile Roussel, th-roussel.fr).
[10] Cette phrase a été modifiée par rapport à ce qu’on entend : « une période qui met un risque accru ».
[11] Ce mot a été modifié par rapport à ce qu’on entend dans la vidéo : « des ».
[12] Ce mot a été modifié par rapport à ce qu’on entend : « que* il ».