Linda Giguère,
chroniqueuse Ah, c’est elle ! C’est elle, la nouvelle Marianne, vous l’avez vue ?
Mohamed Kaci, journaliste
Je la découvre.
Linda Giguère
Oui, c’est elle qui va orner les nouveaux timbres français à partir de lundi. Elle est pas mal, hein ?!
Mohamed Kaci
Je l’aime bien.
Linda Giguère
Ouais, moi aussi. Mais bon, il va falloir trouver autre chose que les timbres. Parce que les timbres, qui va encore les utiliser dans 5, 10 ans ? Les pièces de monnaie c’est pareil, tout est numérique maintenant.
Mohamed Kaci
C’est vrai.
Linda Giguère
Mais enfin, c’est pas mon problème. Moi ce soir, j’ai envie de vous parler de la représentation de la Marianne. Parce que la Marianne, c’est quoi ? C’est un symbole. Et un symbole, c’est quelque chose de concret. C’est un objet, c’est une image qui représente quelque chose d’abstrait. C’est comme pour la marque à la pomme. Pas besoin de la nommer, tout le monde sait de quoi on parle. Mais la Marianne, c’est un peu pareil. La République, c’était trop théorique, il fallait que les gens personnifient la République. Ça a donné la Marianne : une femme. Pourquoi une femme, me demandez-vous, Mohamed ? Et bien parce que cette représentation féminine, elle existe déjà au moment de la Révolution. C’est l’allégorie de la liberté dans l’Antiquité romaine. À l’époque de la Révolution, l’Antiquité est à la mode, en France. Et dans l’Antiquité, la liberté est symbolisée par une femme. Une femme qui porte un bonnet phrygien, comme celui que portent les esclaves affranchis de leurs maîtres. Quand la Révolution éclate, en 1789, le symbole s’impose naturellement. Marianne, c’est la France libérée de l’esclavage de la monarchie. Marianne, c’est la liberté.
Mais vous vous demandez : pourquoi ce prénom, Marianne ? Et bien en fait, on n’en est pas sûr. L’hypothèse la plus sérieuse, c’est que les prénoms Marie et Anne étaient à l’époque très répandus en France, en particulier à la campagne et chez les domestiques des nobles et des bourgeois. Le prénom Marie-Anne aurait donc été choisi pour rendre hommage à ce peuple français et pour symboliser le changement de régime. D’ailleurs, selon l’historien Maurice Agulhon, les contre-révolutionnaires, ceux qui étaient contre cette république, se sont servis de ce prénom, Marianne, pour se moquer de la République. Pour stigmatiser son côté féminin, son côté populaire. Appeler la République Marianne, pour eux c’était comme pour dire : « Ben voyez, c’est une bonne femme [1], maintenant, qui nous gouverne. C’est une paysanne, c’est une domestique. » Dernière hypothèse et c’est la plus récente, le prénom Marianne viendrait d’une chanson révolutionnaire, dont le manuscrit a été découvert il y a seulement quelques années.
Savez-vous pour finir, Mohammed, qu’il n’existe aucune représentation officielle de la Marianne ? Marianne n’a pas de visage officiel. Alors on sait qu’il y a eu beaucoup de modèles. Il y a eu Brigitte Bardot, il y a eu Catherine Deneuve. Mais l’un des visages les plus marquants pour moi, c’est cette Marianne-là, qu’on voit. Cette Marianne en pleurs. Elle apparaît en novembre 2015, au lendemain des attentats de Paris et de Saint-Denis. Via les réseaux sociaux, elle va faire le tour du monde. Et puis, l’une des plus célèbres au monde, c’est la statue de la Liberté offerte par la France aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, elle n’est autre qu’une Marianne. Elle représente ce que les deux républiques avaient en commun : la liberté.
Mohamed Kaci
Linda Giguère en mode professeur d’histoire. Ça vous va bien, professeur d’histoire !
Linda Giguère
J’aurais voulu être maîtresse d’école.
Mohamed Kaci
On a appris beaucoup de choses, en tout cas. Merci à vous !
[1]Une bonne femme : expression familière, voire péjorative pour désigner une femme.