Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Et si la pandémie de COVID-19 n’était en fait que la face émergée de l’iceberg ? Il y en aura très certainement d’autres mais ces pandémies, nous allons le voir, ne sont pas inéluctables. Ce constat est au cœur de l’enquête de Marie-Monique Robin. Bonsoir !
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Bonsoir.
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Soyez la bienvenue sur TV5MONDE. Vous êtes journaliste, Prix Albert Londres, réalisatrice et auteure du livre La fabrique des pandémies – Préserver la biodiversité pour la santé planétaire. Alors, vous parlez d’une épidémie de pandémies, j’ai bien dit une épidémie de pandémies. Il y a la notion de multiplicité pour notre planète et ce qui ressort de vos entretiens, au fond, c’est que, il y a beaucoup d’inquiétudes : soixante-deux scientifiques quand même interrogés – on ne peut pas dire que ce soit mince – qu’est-ce qui les inquiète fondamentalement ?
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Donc, ils viennent de tous les continents déjà. Ils sont virologues, infectiologues, parasitologues, différentes disciplines, mais tous ont fait le même constat et tirent la sonnette depuis une vingtaine d’années : ils disent que la principale cause de l’émergence de ces maladies infectieuses, c’est la déforestation et c’est donc la destruction des écosystèmes, particulièrement là où il y a beaucoup de biodiversité donc évidemment surtout en Asie, en Amérique latine et en Afrique.
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Alors, on en a beaucoup entendu parler au tout début, au moment du confinement, par exemple en France au mois de mars, il y a désormais quasiment un an et puis après plus rien, la responsabilité des humains – la nôtre – est-elle clairement identifiée ?
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Oui. Alors, ce qui est très frappant quand on interviewe ces soixante-deux scientifiques, d’abord on constate qu’il y a des centaines d’études qui montrent ça, à savoir que… il y a un mécanisme à l’œuvre qui résume très bien l’histoire d’un virus qui est le virus Nipah qui est apparu en 1997 en Malaisie. Donc, à l’origine, on déforeste l’île de Bornéo pour mettre des plantations à l’huile de palme. Il y a des chauves-souris, animal très sympathique contrairement à ce qu’on peut croire, mais qui ont une caractéristique, c’est que pour pouvoir voler – parce que ce sont des mammifères, n’est-ce pas – ils ont dû développer un système immunitaire très sophistiqué qui fait qu’elles peuvent abriter des milliers ou des centaines de virus et d’agents pathogènes, sans tomber malades. Quand on casse leur habitat,
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Hum
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
elles sont…, elles s’enfuient. Là, en l’occurrence, elle se rabat sur les côtes de Malaisie où on a planté des manguiers au-dessus de grandes fermes porcines et voilà comment les chauve-souris qui sont frugivores, cette espèce-là est frugivore, mangent des fruits, mangent les mangues, elles défèquent, elles contaminent les porcs et les porcs, peut-être vous ne le savez pas mais, sont très proches de nous les porcs,
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Génétiquement
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Eh oui, 95 % de nos gènes, nous partageons 95 % de nos gènes avec eux. Les porcs sont contaminés, et évidemment, c’est la meilleure porte d’entrée pour une humanisation de ce virus d’origine zoonotique donc, et les ouvriers agricoles d’abord sont contaminés. Cette viande, ces porcs sont destinés à l’exportation, ils sont abattus à Singapour et ensuite pour partir sur le marché chinois. Et voilà comment la globalisation fait que eh bah ce virus va…
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Mais donc si on comprend bien…
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Donc vous voyez, vous avez tous les ingrédients là !
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Mais quand on parle de transmission d’animal à l’être humain, donc en gros, c’est pas juste on a croisé une chauve-souris, on tombe malade. C’est la destruction de l’espace naturel même de l’animal en question.
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Oui, parce que ce virus Nipah par exemple, les chauve-souris ont ça en elles depuis des milliers d’années. Qu’est-ce qui fait que ça devient un danger ? C’est parce que nous les dérangeons, nous les contraignons à partir, là, elles s’enfuient et ce qu’ont montré les scientifiques, c’est que quand les chauve-souris sont obligées de partir parce qu’on détruit la forêt, elles excrètent, elles stressent et elles se mettent à excréter tous les agents pathogènes qu’elles ont, par stress, vous voyez, donc le problème, c’est pas la chauve-souris, c’est notre action dans ces environnements riches en biodiversité qui sont surtout les forêts primaires.
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Quand on lit votre livre, et quand on l’a lu, on dit qu’il y a encore de l’espoir, mais est-ce à dire qu’aujourd’hui, c’est trop tard ?
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Alors, moi les scientifiques que j’ai interviewés, ils étaient assez déprimés, je le dis dans le livre parce qu’en fait ils disent : ça fait vingt ans qu’on dit que le meilleur antidote contre l’émergence de nouvelles maladies infectieuses, c’est la préservation de la biodiversité
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Et on continue la déforestation
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Et on continue à déforester, je vous rappelle que
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Et on continue l’agriculture intensive
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Il y a une association qui s’appelle Global Forest Watch qui a dit qu’en 2019, on a rasé 24 millions d’hectares de forêts dont 3,8 millions de forêts primaires, donc on continue et ils disent, ce qui est dommage c’est qu’on ne prenne pas rapidement les mesures qui s’imposent et qui sont des mesures qui seraient aussi bonnes pour le climat, parce que je vous rappelle que les causes qui sont à l’origine de l’émergence de nouvelles maladies sont les mêmes qui provoquent le dérèglement climatique. Donc, ils disent par exemple : beh, il faudrait arrêter d’importer, nous en Europe par exemple, de l’huile de palme pour mettre dans nos moteurs parce qu’évidemment ça contribue à la déforestation en Indonésie ou ailleurs. Arrêter d’importer du soja transgénique d’Argentine ou du Brésil pour nourrir les poules, les vaches et les cochons des élevages industriels européens parce que ça aussi ça contribue à la déforestation.
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
Oui, mais quand vous écoute Marie-Monique Robin, on se dit qu’au fond la course vaccinale à laquelle on assiste aujourd’hui, elle est, elle est quasiment vaine.
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Alors, bien sûr qu’il était important d’avoir une réaction à court terme qui est chercher des vaccins. Bon. Est-ce que ces vaccins, il est possible de les trouver si rapidement, c’est une question qui est soulevée par les scientifiques, ils en doutent mais ça c’est un autre sujet. N’empêche que c’est légitime. C’est légitime de chercher un traitement, mais ils disent : il faudrait avoir en même temps… prendre et envisager des mesures pour le moyen et le long terme …
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
On ne pourra pas fabriquer tous les cinq ans un vaccin
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Non, mais non !
Mohamed Kaci, présentateur de 64’, le monde en français
À ARN messager contre tout nouveau coronavirus, quoi.
Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine
Impossible, c’est une course perdue d’avance. Et quand on voit le coût de la pandémie de COVID-19, c’est des milliards et des milliards, un jour on va le chiffer. Si on avait, comme me disent certains scientifiques, que le dixième de cette somme pour pouvoir encourager ces mesures, si on interdit les plantations d’huile de palme à grande échelle par exemple, ça veut dire aussi qu’il faut proposer des alternatives, n’est-ce pas, aux pays concernés. Il faut aussi lutter contre la pauvreté parce que vous savez, dans beaucoup de pays, la pression démographique, les gens ont besoin de bouffer – excusez-moi l’expression – ils ont besoin de manger, ils font une pression très forte aussi sur les écosystèmes, donc les scientifiques parlent de ça aussi. Une de ces solutions, c’est quand même de lutter contre la pauvreté et euh il faut absolument le faire parce que sinon, alors ça, c’est pas une bonne nouvelle, ça veut dire que nous sommes entrés dans une ère de confinement chronique, ça veut dire que le masque que vous avez dans votre poche, comme moi là, on va l’avoir tout le temps, il va falloir vivre avec et ça, c’est quand même pas un avenir.