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- Jean Quatremer : les salauds de l’Europe
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Jean Quatremer
Vous savez, je crois que ça fait à peu près maintenant 30 ans que je m'occupe des affaires européennes. Chaque année, c’est une année test. Ça fait partie des marronniers des journalistes européens : année test pour l'Europe ! Non, c'est pas une année test, pas plus que 2016.
Paul Germain
Il n'y a pas le Brexit tous les ans...
Jean Quatremer
Non, mais je vous rappelle quand même qu’on sort d'une crise extrêmement grave avec la Grèce, qui a failli se retrouver dehors et d'autres pays de la zone de la zone euro, la monnaie a failli s'effondrer.
Le Brexit, je vous le dis franchement : pour le coup, on s'en fout. Mais on s'en fout, mais totalement, c'est pas du tout en haut de l'agenda ! Ça préoccupe les Britanniques, oui c'est leur problème ! Mais les Britanniques n’étaient pas au cœur de l'Europe. Les Britanniques, ils sont pas dans l’euro, ils sont pas dans la défense, ils sont pas dans la politique étrangère, ils sont pas dans la politique d'immigration, ils sont pas dans la politique de sécurité, ils sont pas dans Schengen, ils sont déjà à moitié dehors ! Donc et on savait bien qu'ils étaient pas heureux en Europe ! Donc, ils décident de partir … and so what ?
C'est comme si vous étiez cohabitant avec votre ex-femme mais bon simplement pour des questions matérielles, vous aviez décidé de vivre dans la même maison, et puis un jour, quand même, vous en avez marre et vous décidez d'acheter une autre maison. Et bien c'est ce qui va se passer avec les Britanniques. Donc, vraiment, dire que l'Union européenne est menacée par le Brexit, mais je n'y crois pas une seconde, au contraire ! Ça va clarifier les enjeux et surtout, les Britanniques vont se rendre compte, et les europhobes aussi, vont se rendre compte du coût que ça représente de quitter l'Union européenne ! Parce que ça va avoir un coût majeur évidemment ! On l'a vu, la livre qui a perdu déjà 10%, ils ont divisé leur croissance pour 2017 de moitié, les investissements sont en panne. Et là, le Brexit n'a pas eu lieu. Dans deux ans il aura lieu, et vous allez voir à quel point les Britanniques vont souffrir ! Et les gens les plus intelligents en Grande-Bretagne, je ne parle pas des idéologues à la Theresa May, savent parfaitement ce qu'il va se passer ! Donc véritablement, c'est un problème britannique. Est-ce que ça menace la cohésion des 27 ? Non. En l'occurrence tout le monde a dit on reste unis. Même les pays les plus eurosceptiques comme la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie ont dit : « oh la la, nous faire ça, ça va pas ! » Bon, il faut dire qu'on leur verse 4% par an de leur PIB en aides communautaires. Ça aide à la fidélité, on va dire. Mais, dans tous les cas, aucun de ces pays n'a dit : « je vais en profiter pour suivre l'exemple britannique et on va créer une autre communauté ultralibérale, machin, etc. » Non, tout le monde reste, au contraire, on se serre les coudes ! Les Polonais demandent même une défense européenne maintenant. Donc, non… 2017, c'est peut-être l'année de la relance justement !
Paul Germain
Vous dénoncez très souvent les populistes mais on me dit que vous êtes en train d'écrire un livre qui s’intitulerait Les salauds de l'Europe. Vous vous y mettez vous aussi ?
Jean Quatremer
Non, Les salauds de l'Europe c'est un titre très provocateur donc c'est un ouvrage qui va paraître chez Calmann-Lévy. Et c'est qui les salauds de l'Europe ? Ce sont des gens qui ont salopé une idée absolument merveilleuse qui est l'Union européenne.
Paul Germain
Des noms, des noms !
Jean Quatremer
Mais tous nos dirigeants actuels ! Je veux dire que ce soit Jean-Claude Juncker, François Hollande, la chancelière, les populistes enfin moi j'aime pas les populistes… les démagogues hein, on va dire les démagogues ; les démagogues à la Marine Le Pen etc. qui détruisent l'Europe soit par intérêt politicien c’est-à-dire - en gros - je veux avoir mon pouvoir dans mon petit pré carré national, soit par manque de courage politique. C'est-à-dire, il y a des moments où pour faire l'Europe, pour clarifier les enjeux, pour rassurer les gens, et bien il faut faire des pas dans l'intégration, il faut prendre des risques politiques comme Mitterrand l'a fait au moment où il a négocié le traité de Maastricht avec la monnaie unique pour ancrer l'Allemagne au sein de l'Europe. Aujourd'hui, vous avez des médiocres. Nous sommes dirigés par des médiocres !
Dans le cadre de ce livre, je relisais les minutes du congrès de la Haye de 1948, alors ça ne date pas d'aujourd'hui, congrès auquel assistait François Mitterrand qui en est sorti extrêmement impressionné parce que c'était pas un européen à ce moment-là. Il faut voir la concentration d'intelligence d'une élite oui, je soutiens le mot élite effectivement, c'étaient pas des démagogues, c'était une élite qui se dit : « on ne va pas recommencer ce qu'on a fait, il faut qu'on consolide la paix qu'on vient d'obtenir par les armes, et on va faire l'Europe ». Alors ils ont pris des risques, ils ont été contre les populations, vous imaginez en 1948, trois ans après que les armes se soient tues ? Ils ont pris des risques énormes alors que leurs populations n'étaient pas prêtes à faire la paix. Regardez la Bosnie-Herzégovine, 20 ans après la fin de la guerre, ils ont des dirigeants médiocres et le résultat c'est que demain, nous quittons la Bosnie-Herzégovine, la guerre recommence. Et ben voilà, les salauds de l'Europe, ce sont tous les médiocres qui nous dirigent et qui sont en train, petit à petit de tuer l'Europe. Moi, je suis presque fasciné de la résilience de l'Europe, et de la, je dirais, de la faculté des opinions publiques à pardonner encore. Parce que ils ont construit un ensemble qui est tout de guingois, qui dysfonctionne, et surtout, ils ne disent pas à leurs populations qu'au fond c'est eux, les États, les gouvernements qui restent les maîtres de l'Europe. Ce sont eux qui décident de tout. Mais c'est tellement pratique de dire que c'est la faute à Bruxelles, que c'est pas eux qui ont pris la décision alors qu'évidemment, tout procède des États et qui sont au lancement des initiatives de la Commission et à la réception puisque ils doivent les transcrire dans le droit national… ils sont incapables de le dire. Ils ne veulent pas le dire ! Et donc forcément, les gens ont l'impression qu'il y a une espèce de politburo technocratique qui dirige l'Europe de Bruxelles. Non, c'est juste des incompétents nationaux qui n'assument pas les décisions qu'ils prennent ici.
Paul Germain
Merci Jean Quatremer. Vous reviendrez bien sûr au Bar nous parler de votre livre. Et nous, on suivra attentivement les événements qui attendent de l'Union européenne dans cette année un peu folle. À la semaine prochaine !