Histoire des tirailleurs sénégalais (Sénégal)

Ibrahim Thioup (professeur d’histoire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
 
Quand un contingent est embarqué et rentre à Dakar, on les met au camp de Thiaroye. Mais dès avant leur arrivée en Afrique, ils posent un certain nombre de revendications : qu’on leur change leurs habits parce qu’ils avaient été prisonniers dans les camps allemands et en Allemagne, pour le travail qu’ils y faisaient comme prisonniers de guerre, ils avaient été rémunérés et ils avaient de l’argent allemand, ils demandaient à ce qu’on leur change l’argent, le numéraire allemand en francs des colonies françaises. Également, ils revendiquaient qu’on leur paye leur solde pour avoir participé à la guerre.
Et les soldats qui se trouvent au camp de Thiaroye, on leur promet d’abord en Europe que toutes leurs revendications seront satisfaites quand ils seront en Afrique. Arrivés en Afrique et rassemblés à Thiaroye dans la banlieue de Dakar, ils posent les mêmes revendications. On leur dit quand vous serez dans vos différents territoires, le problème sera réglé. Ils savent qu’on les mène en bateau et que, il n’est pas question de quitter le camp de Thiaroye sans la satisfaction de leurs revendications. Ils prennent en otages quelques officiers ce qui met en rage l’administration coloniale et l’administration militaire. À l’aube, le camp est encerclé ; on tire sur ces soldats qui reviennent de la guerre et du combat contre les Allemands. C’est les troupes françaises qui tirent contre eux. Officiellement, on déclare qu’il y a eu 35 morts et 35 blessés.
Thiaroye, c’est vraiment un axe, disons, un nœud du conflit mémoriel entre la France et ses colonies. La France qui n’a jamais voulu reconnaître, disons, cette participation des tirailleurs sénégalais à sa libération en 1945, qui leur a octroyé certes les pensions légitimement et légalement dues, mais sans jamais leur verser une pension égale à celle qui était versée à ses propres soldats. Les tirailleurs vont pendant des décennies revendiquer un traitement égal comme cela était le cas devant les balles des forces ennemies.
Mais jamais ils n’ont réussi jusqu’à ce qu’un tirailleur porte plainte contre l’État français et c’est le jour où il remporte la victoire, que la France se décide à le décorer, qu’il fait un pied de nez certainement à la France : il meurt la veille de sa décoration.