LE CONTEXTE
Bienvenue sur Geopolitis. Les frontières, on croyait que c'était un concept du passé et une réalité dépassée, et voilà que, de plus en plus en ce début du XXIe siècle, on enregistre un retour de ces frontières, physiques, matérielles, qui représentent autant de séparations politiques, économiques, ethniques et même religieuses. Le problème, avec les frontières, c'est qu'elles peuvent tout aussi bien fragmenter les sociétés et partager les peuples que les rassembler et les préserver.
Nous avons tous évolué avec une idée préconçue, à savoir qu'avec la mondialisation, la globalisation et la libre circulation des hommes, des idées et des marchandises, les frontières allaient inéluctablement disparaître. Or, depuis le début de l'année 2000, donc depuis 15 ans, les géographes estiment que l'homme a construit quelque 26 000 kilomètres de frontières supplémentaires. Décidément, depuis l'an 843 lorsque, par le traité de Verdun, on avait délimité les 3 territoires dévolus aux 3 héritiers du grand Charlemagne, qui était leur grand-père, on a toujours voulu délimiter, pour mieux les contrôler, ses propres territoires et aussi et surtout ceux des autres. Geopolitis se penche sur ces frontières qui, a priori, n'ont plus de limites.
Dans un ouvrage remarqué, le philosophe et écrivain Régis Debray faisait, c'était le titre de son livre, « l'éloge de la frontière ». La frontière, écrivait-il, c'est d'abord une affaire intellectuelle et morale. Et il est vrai que, ici et là, dans l'actualité au quotidien, ce retour aux frontières, cette réintroduction de marqueurs d'espace comme on dit, est souvent la revendication nostalgique d'un espace, le sien, dont on affirme qu'il était, avant, mieux délimité et donc mieux protégé. En revanche, pour certains autres, le recours à des frontières rematérialisées et bien c'est tout simplement le retour au nationalisme ou au protectionnisme. La réalité de ce siècle, c'est que l'on construit, un peu partout dans le monde, des séparations. Alors on a le choix entre le mur, le béton, la barrière métallique, le fil de fer barbelé, le fossé rempli de pièges ou encore la zone minée. Exemple, l'Arabie Saoudite et l'Irak, avec les djihadistes du pseudo État islamique prêts à déferler sur le royaume wahhabite. Et bien, c’est une clôture « high-tech », surveillance permanente par hélicoptère, par vidéo, radars de détection, le tout sur 800 kilomètres, lorsque les travaux seront achevés. Voilà pour cette frontière.
Encore un mot, plutôt trois mots : dans la langue anglaise, il y a 3 mots pour définir ce qu'en français on qualifie de frontière : il y a le vocable « boundary », qui a trait à la ligne frontière, il a le concept de « frontier », au sens politique et civique de la nouvelle frontière chère à Kennedy, et puis il y a le « border », terminologie qui définit et délimite l'espace frontalier. On le voit, le concept même de frontière est complexe. On n'en a pas fini avec le bon vieux leitmotiv des douaniers de notre enfance « Est-ce que vous avez quelque chose à déclarer ? ».
LE REPORTAGE
Les frontières les plus longues
C'est la plus longue de toutes les frontières terrestres, 8893 kilomètres, en deux morceaux, 6400 km pour la frontière qui sépare le nord des États-Unis du sud du voisin canadien, sans oublier un tronçon de 2400 km, bien plus au nord, entre le Canada et l'Alaska. La frontière la plus problématique, pendant des décennies, fut celle entre la Russie et la Chine, frontière en deux morceaux, 4250 km, de part et d'autre de la Mongolie. L'Argentine et le Chili se côtoient, pour leur part, sur 5150 km. Toutes ces frontières sont désormais réputées calmes, surveillées, certes, mais a priori paisibles. En tout cas, elles ne font pas l'objet de contestation. Il en existe une autre, dont la valeur géopolitique a depuis longtemps cédé le pas à une inestimable valeur historique et architecturale : il s'agit de la muraille de Chine, édifiée à partir de l'an 700 avant Jésus Christ, et achevée sur une période de presque 2 millénaires. À signaler que ce mur de 6700 km de long, si l'on additionne tous les tronçons, avait déjà, à l'époque, des valeurs et des justifications tant militaires qu'antimigratoires.
Les frontières qui ont disparu
C'était le 9 novembre 1989, un mur tombait, pas n'importe lequel, celui qui symbolisait la confrontation entre l'est et l'ouest, le mur de Berlin. Élevé en 1962, ce mur de la honte séparait Berlin sur 150 km. 239 personnes avaient trouvé la mort en tentant de le franchir. L'histoire retiendra que cette frontière entièrement décidée, construite et défendue par l'homme, et qui aura eu une existence de très exactement 10’315 jours, s'est décomposée en quelques heures, sans que nul n'ait anticipé l'événement et la portée considérable qu'il devait avoir par la suite, la chute de l'URSS et la réunification de l'Allemagne. Beaucoup plus discrètement, c'est la ligne verte de Chypre qui s'est à présent délitée, à Nicosie, une frontière infranchissable pendant 35 ans, séparant la partie turque de la partie grecque de l'île. Enfin, à une époque où de nombreuses capitales demandent que l'on revienne sur les dispositions de l'accord de Schengen, on ne peut oublier celles des frontières qui sont tombées, par exemple, en Slovénie, lorsque ce pays a rejoint, précisément, l'espace Schengen.
Les frontières qui se construisent
Chaque année, explique Washington, environ 300 000 Mexicains et Sud-Américains pénètrent clandestinement aux États-Unis. Trop, c'est trop, font valoir ceux qui soutiennent la construction, de ce mur-anti immigration de quelque 3100 kilomètres de long. Inutile, injuste et humiliant, répondent ceux qui rappellent que l'Amérique compte plus de 10 millions de travailleurs illégaux et que l'économie ne s'en porte pas plus mal. Autre cas emblématique, entre Israël et les territoires palestiniens, en la circonstance faisons très attention à la terminologie, les Israéliens disent qu'il a bien fallu construire une « clôture anti-terroristes », une barrière de sécurité, laquelle peut avoir une certaine justification dans la mesure où elle semble jusqu'ici avoir empêché le retour aux attentats. Mais pour les Palestiniens, dont des milliers de citoyens se trouvent coupés du monde, c'est le mur de la honte, qui fera 709 km de long une fois achevé. Pour l'ONU, c'est une construction illégale qu'il convient de démanteler. Enfin, toujours en construction, l'un des murs les plus longs sera celui entre l'Inde et le Bangladesh, 4053 km, avec, déjà, près de 3000 km construits, avec une double clôture, hérissée de fils de fer barbelés et même un poste de garde tous les 110 mètres !
L’ÉDITORIAL
Ça a commencé avec Médecins Sans Frontières, MSF. L'idée, précisément, était de travailler dans l'humanitaire sans tenir compte des frontières physiques, politiques, et encore moins des frontières ethniques, raciales, voire, idéologiques. La devise est devenue un sigle, un symbole mondialement connu et respecté, auquel sont venus, par la suite, se greffer nombre d'organisations soucieuses, elles aussi, de dépasser, dans leurs domaines de compétence, les clivages traditionnels. Sont donc arrivés sur le terrain, des mouvements comme Pharmaciens sans frontières ou Vétérinaires sans frontières ou encore des organismes d'échanges d'étudiants comme Vivre Sans Frontière. Et puis, et puis, il y a eu Reporters Sans Frontières, RSF, qui a essaimé un peu partout dans le monde, et qui entend assurer la liaison, par-dessus les frontières, entre une presse qui se veut libre et une autre qui se sait opprimée. Défense de l'écrit, de l'oral, de la photo, du réseau social, bref, de la liberté d'expression dans le monde. Car là aussi, ces mêmes frontières qui avaient tendance à s'estomper reviennent en force. Un seul mouvement n'a pas encore émergé, qui concerne ceux-là mêmes qui surveillent les frontières : c'est vrai ça, à quand « douaniers sans frontières » ?