Dominique Laresche, présentatrice de l’émission Objectif Monde L’hebdo
François Pilet, le nombre des fonds verts dans les banques a triplé depuis 10 ans, comment l’expliquez-vous ?
François Pilet, journaliste indépendant
Bon, il faut comprendre que dans ce domaine, la finance n’est pas différente du monde réel. Aujourd’hui partout où que vous alliez quand vous faites vos courses, quand vous achetez des produits, vous consommez des services, tout doit être climatiquement neutre, écoresponsable. C’est pareil dans le monde de la finance. Imaginez un banquier qui va…, qui est chargé de vendre un produit d’investissement à un épargnant. Il vient avec quatre prospectus. Puis il dit : « Alors voilà ici j’ai deux prospectus d’investissements durables, et puis ici j’ai deux autres prospectus d’investissement… » – quoi – comment les appeler ? Pas durables ?
Dominique Laresche, présentatrice de l’émission Objectif Monde L’hebdo
Polluants ?
François Pilet, journaliste indépendant
On voit très bien que ça ne va pas. Donc, c’est ce qui explique que les institutions financières, les banques ont, ces dernières années, ont dû massivement réempaqueter, transformer l’ancien en nouveau, en réimprimant des étiquettes, avec des définitions nouvelles.
Dominique Laresche, présentatrice de l’émission Objectif Monde L’hebdo
Et justement, on va revenir sur le manque de transparence, le manque de clarté dans certains critères, avec vous. Mais j’avais une question pour Éric Heyer. Si je vous dis que la finance s’est emparée très vite, plus vite que tout le monde, je dirais, de la question environnementale pour faire de l’écoblanchiment, que me répondez-vous ?
Éric Heyer, économiste
Moi, il me semble que le problème, c’est – ça a été dit – mais c’est un éternel recommencement. Si on fait…, on peut faire un parallèle avec la crise de 2008, à l’époque, on nous expliquait qu’il y avait des produits sans risques, d’accord, qui pouvaient rapporter beaucoup. Voilà, donc, mais moi épargnant, je ne peux pas discriminer, je ne peux pas savoir si l’on me raconte des foutaises ou pas. Là, c’est un peu la même chose, on nous dit qu’il y a des produits qui sont rentables et en plus qui sont durables. Mais, comment moi, épargnant, je peux arriver à discriminer ? Et donc c’est là, me semble-t-il où la finance, comme en 2008, doit être réglementée. C’est-à-dire que de la même manière que les agences de notation n’ont pas bien fait leur travail en 2008, elles ne le font toujours pas très bien aujourd’hui, mais pour un autre système : c’est pas « est-ce que c’est plus risqué pour les banques ? », c’est plutôt « est-ce que ça remplit bien les critères que l’on demande ? » Et donc, il va falloir beaucoup plus de contrôles, beaucoup plus de sanctions pour les banques qui ne jouent pas le rôle. Et donc l'AMF le fait en France, mais j’imagine qu’un peu partout, attention si on vous contrôle et que vous ne respectez pas les engagements, alors là il va falloir le mettre sur la place publique. Et donc, c’est une question de réputation et de sanctions pour justement essayer que d’une part les agences de notation le fassent mieux et que la finance se régule aussi par elle-même.
Dominique Laresche, présentatrice de l’émission Objectif Monde L’hebdo
François Pilet, c’est un problème de contrôle ou c’est que ces critères manquent de clarté, manquent de précision, ce qui permet finalement à des banques, de classer verts des produits qui n’en sont pas vraiment, mais qui peut-être qui essaient de changer, d’être moins polluants ? Qu’est-ce que vous en pensez à l’issue de cette enquête ?
François Pilet, journaliste indépendant
Quand on regarde vraiment la masse des produits financiers qui s’écoulent sur le marché, on se rend compte qu’en fait, c’est un système qui s’est mis en place et c’est un système qui est effectivement, comme vous l’avez dit, est vérolé par le conflit d’intérêts, parce que la banque ou l’entreprise qui veut se faire noter ou la banque qui veut faire noter son produit financier va vers une agence et euh… paie pour le tampon, mais s’il n’y a pas de tampon, il n’y a pas de chèque, l’entreprise ne gagne pas d’argent. Il y a quelque chose qu’on a observé dans notre documentaire, c’est cet argument qui est vraiment très intéressant, qui est un peu à la base de tout ça, qui est de dire : « il faut financer la transition ». Qu’est-ce que ça veut dire en fait ? Ça veut dire que, on vous explique que si vous voulez vraiment avoir un impact avec votre argent, il faut l’investir dans des entreprises qui sont aujourd’hui très polluantes, mais qui font des efforts parce que évidemment qu’une entreprise horriblement polluante, je ne sais pas… on pense aux cimentiers par exemple, qui réduisent de 4% leurs émissions, ça va faire une différence gigantesque et avec cet argent, votre argent, il aura beaucoup plus d’efficacité là que si vous investissez dans des entreprises de panneaux solaires ou de permaculture. Et donc, on peut entendre ça, on peut entendre ça, mais cet argument, il aboutit à un retournement de la logique justement qui est de dire : en fait, si vous voulez investir de manière vraiment durable, alors il faut investir dans les entreprises les plus sales parce que c’est pour les encourager à faire des efforts. Il y a un problème de logique, ce problème de logique, il vient de cet argument « financer la transition » et tout ça, je pense, est conçu de manière – voilà – assez volontaire et consciente.
Dominique Laresche, présentatrice de l’émission Objectif Monde L’hebdo
François Pilet, on va revenir vers vous. Une question, Roland Gillet. Vous pensez vraiment, vous aussi, que finalement les agences de notation jouent à nouveau ce petit jeu, on va dire peut-être pervers ou en tout cas d’utiliser la transition écologique de la même façon qu’elles avaient menti en 2008 sur les placements ?
Roland Gillet, professeur d'économie financière à la Sorbonne et à l'université libre de Bruxelles
Si tel est le cas, elles se tirent une balle dans le pied. Parce que quand on montrera que des gens sont là pour faire un classement et comme on le montre ici, à certains moments, s’il n’y a pas une justification qui un moment donné est admise par les gens finalement qui vont détenir ces sociétés et compréhensibles pour eux, je pense qu’ils ne joueront plus leur rôle et alors ils se décrédibilisent complètement. Le conflit d’intérêts que vous avez mis en avant est évident. C’est sûr que c’est les gens qui veulent être cotés, évalués qui paient. Mais dans beaucoup de domaines, c’est comme ça aussi, même pour les banques pour d’autres raisons. Mais par contre, il y a une chose que je voudrais quand même dire, tout ce qui a été dit, je suis pratiquement d’accord sur l’essentiel, mais il y a un élément, c’est : est-ce que l’investisseur – parce qu’on a quand même parlé de rendement – d’abord, on a parlé de risque, on a parlé de vert, mais qu’est-ce que veut un investisseur ? Normalement, c’est un bon couple rendement-risque, rendement tout court, même, s’il peut aussi, s’il pouvait. Et donc, est-ce que si on met la logique avec des portefeuilles tous classés selon leur degré ESG et qu’on explique à des gens…
Dominique Laresche, présentatrice de l’émission Objectif Monde L’hebdo
ESG, c’est environnement, société et gouvernance…
Roland Gillet, professeur d'économie financière à la Sorbonne et à l'université libre de Bruxelles
… environnement, société et gouvernance, donc c’est vraiment les fonds dits durables…
Dominique Laresche, présentatrice de l’émission Objectif Monde L’hebdo
C’est les trois critères…
Roland Gillet, professeur d'économie financière à la Sorbonne et à l'université libre de Bruxelles
Voilà, voilà qui sont vraiment dans le côté…
Dominique Laresche, présentatrice de l’émission Objectif Monde L’hebdo
… Pour définir les fonds durables.
Roland Gillet, professeur d'économie financière à la Sorbonne et à l'université libre de Bruxelles
Voilà, comme on a dit propres ou sales, voilà on peut dire plein de qualificatifs pour les… mais si on met ce critère ESG en avant et qu’on dit à des gens, des investisseurs maintenant, écoutez : le fait qu’on investit que dans ces valeurs-là, qui sont vraiment sélectionnées sur le… va vous faire perdre en rendement, imaginez 2%, alors que vous subissez des risques équivalents qu’on aurait pu diversifier dans d’autres sociétés contenant notamment TotalEnergies, est-ce que vous êtes d’accord ? Je ne suis pas certain que, j’ai vu le pensionné qui a dit… - il avait l’air très sûr de sa cause, peut-être que lui l’accepterait - mais vous avez vu qu’il a quand même commencé par dire, le rendement de son épargne, de ce qu’il a de côté, et le côté durable. Maintenant si à un moment donné, on peut mettre les deux, vous pensez bien que c’est merveilleux. C’est ce qu’on a dit : si on peut associer à la fois le rendement et le propre, qui irait faire autre chose ? Et je termine juste sur un exemple. Je demande à mes étudiants chaque année de classer des sociétés qui pourraient être finalement un petit peu – je vais dire une caricature de ce qui vient d’être dit – c’est les plus vicieuses, vous voyez c’est le commerce, mais tout est licite, toutes des sociétés cotées, qui sont dans les casinos et j’en passe et des meilleures jusqu’aux sociétés les plus vertueuses, mais quand on calcule pour le moment le rendement fait par les premières par rapport aux dernières, je suis désolé de vous dire que les plus vicieuses pour le moment ont un rapport « rendement-risque » qui est plus important que les autres.