Voix off
Qu’est-ce que c’est… oh… ils ont pas l’air contents… C’est bizarre… ils se sont disputés ? On leur a coupé le WiFi ? Mais non… Imaginez le tableau : on est aux alentours de 1860. La France aide un peu les Italiens à chasser les Autrichiens, Jules Verne entame ses Voyages extraordinaires et Verdi triomphe à l’opéra un peu partout. Bref, les frontières ne sont pas très stables. Edgar Degas non plus, puisqu’il a un pied en France et l’autre en Italie. En plus, son tableau s’inspire des maîtres flamands, ce qui montre à quel point l’art se moque bien de la géographie. En peignant sa propre famille, Degas sait en tout cas mettre du mouvement dans un portrait immobile. Regardez bien : un personnage peint en son absence, un personnage qui n’est plus là, un personnage qui s’en va et un autre qui ne tient pas en place. Pas de doute, Degas fait bouger les lignes… D’ailleurs, ce n’est plus un tableau, c’est une analyse psychologique. L’artiste nous restitue l’état mental des personnages. La baronne en deuil de son père, dont le portrait est accroché au mur. Sa fille aînée, propre sur elle, un peu trop sage, déjà rentrée dans le moule dont tout le monde veut sortir. La cadette qui s’ennuie, prête à partir jouer avec le chien, lequel a déjà fui cette ambiance morose. Et puis l’oncle Gennaro, qui lit tranquillement son journal, comme s’il était ailleurs. Et justement, il n’est pas là. Le tonton est en exil, car il a été condamné à mort pour raisons politiques. Peu apprécié par sa femme et par Degas, absent, il est bien là, mais dans un coin, le dos tourné. Plus qu’un portrait de sa propre famille, Edgar Degas nous offre un regard unique sur un intérieur bourgeois corseté par les rancœurs et les conventions dans une époque faite de bouleversements et de mouvement. « La Famille Bellelli » reste dans l’atelier de Degas jusqu’à sa mort, ce qui montre l’attachement du peintre à sa toile. Et ce n’est qu’en 1986 qu’elle ira s’installer au musée d’Orsay.