Denise Époté, journaliste
L’Afrique de l’Ouest a enregistré en l’espace de deux ans quatre coups d’État, deux au Mali, un au Burkina Faso, un en Guinée, qu’est-ce que cela dit de l’état de la démocratie dans cette région ?
Christopher Fomunyoh, responsable Afrique au National Democratic Institute for International Affairs
Effectivement, cela témoigne de la fragilité des acquis démocratiques de ces deux dernières décennies parce que jusqu’à 2015, on parlait tous de l’Afrique de l’Ouest comme une sous-région très prometteuse. On était tous très fiers des résultats obtenus en matière de démocratisation et de bonne gouvernance, mais il faut avouer que depuis 2015, la sous-région fait un peu marche arrière. Deuxièmement, il faut aussi reconnaître que c’est pas seulement un problème de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest : nous avons connu un coup d’État au Tchad, nous avons connu un coup d’État au Soudan, donc c’est pour dire que tout le continent africain reste menacé et que la démocratie est encore très fragile sur le continent.
Denise Époté, journaliste
Alors sur le continent, il y a les ruptures démocratiques mais qui ne se limitent pas aux coups de force, il y a également les révisions constitutionnelles. Le multipartisme instauré au lendemain des conférences nationales qui se sont tenues en 1991, n’était-il qu’un leurre ?
Christopher Fomunyoh, responsable Afrique au National Democratic Institute for International Affairs
Vous avez parfaitement raison parce que nous avons tous célébré ces différentes transitions qui ont eu lieu dans les années 90 et il y avait une effervescence, un enthousiasme par rapport au retour du multipartisme mais il est aussi vrai qu’au jour d’aujourd’hui, on se pose beaucoup de questions, surtout pour la nouvelle génération de jeunes Africains qui n’avaient pas connu les régimes militaires ou les régimes à parti unique. Et c’est là aussi que beaucoup d’Africains font des reproches à nos organisations régionales ou sous régionales comme l’Union africaine et la CEDEAO ou bien la SADI pour dire que lorsqu’un chef d’État, démocratiquement élu, se met à modifier secrètement la constitution du pays, il est aussi important que ces organisations se fassent entendre pour ne pas attendre que les militaires interviennent pour condamner l’émergence de coups d’État. Donc, c’est pour dire que la démocratie reste une œuvre inachevée et qu’il va falloir la travailler au quotidien et veiller à ce que tout un chacun puisse jouer correctement son rôle.
Denise Époté, journaliste
Mais quel est le rôle justement d’une institution comme la vôtre, le National Democratic Institute , à côté de ces pays pour justement les conduire sur la route d’une démocratie durable ?
Christopher Fomunyoh, responsable Afrique au National Democratic Institute for International Affairs
Évidemment, nous pouvons, comme toute organisation non gouvernementale, nous pouvons jouer un rôle d’accompagnement, c’est-à-dire… nous mettons à la disposition des différents pays les expériences que nous avons, l’expertise maison comme l’expertise des experts, venant des autres horizons qui ont vécu les mêmes difficultés, les mêmes défis et qui ont réussi, chacun dans son pays, à faire ancrer la démocratie comme mode de gouvernance. Et vous verrez, à travers le continent, que les pays qui ont vraiment bénéficié de notre appui et qui ont accepté de bonne volonté , à cœur ouvert, cette contribution, cette assistance technique du NDI et des autres structures qui travaillent dans le même espace , ont pu vraiment faire du progrès. C’est pour cela que lorsque je descends dans un pays comme le Malawi aujourd’hui, 45 % du gouvernement du Malawi est fait de femmes, 41 % de membres du gouvernement est fait de femmes, 45 % des diplomates de ce pays sont des femmes et 50 % de toutes les nominations dans le pouvoir judiciaire est constitué de femmes. Ça voudrait dire que ce pays, qui à l’époque était un pays à parti unique, a fait beaucoup de progrès dans le domaine de la démocratisation et des exemples comme celui-là se multiplient de plus en plus sur le continent.
Denise Époté, journaliste
Alors la démocratisation est-elle selon vous, Christopher Fomunyoh, une question de volonté politique du leader qui dirige le pays ?
Christopher Fomunyoh, responsable Afrique au National Democratic Institute for International Affairs
Je crois qu’il y a deux phénomènes qui doivent se conjuguer, c’est-à-dire certes il doit y avoir une volonté politique des gouvernants, donc des leaders, mais en même temps aussi une volonté, une soif de la démocratie et de la bonne gouvernance de la part des populations à la base. Et lorsqu’on voit une population très éveillée, très motivée, très instruite, très attachée aux principes démocratiques, il devient de plus en plus difficile pour les leaders, qui voudraient s’éterniser au pouvoir, de le faire . Mais lorsqu’on voit que les leaders n’agissent pas d’une bonne volonté et qu’en même temps les populations ne sont pas éveillées, cette combinaison, vraiment, place la démocratie dans une très mauvaise posture et c’est ce qui explique pour certains de nos pays, que ces pays-là n’ont pas connu une avancée depuis les années 90, les années d’espoir.
Denise Époté, journaliste
Alors, sur le continent, quel est selon vous le meilleur élève sur le plan démocratique ?
Christopher Fomunyoh, responsable Afrique au National Democratic Institute for International Affairs
C’est une bonne question parce que surtout pour la jeune génération d’Africains, dans les années 90, on ne comptait que quatre bons élèves sur le continent : il y avait le Sénégal, la Gambie, le Botswana et l’île Maurice. Mais au jour d’aujourd’hui, on peut compter plus d’une douzaine de pays qui se battent et qui œuvrent et qui travaillent dans le bon sens. En plus du Sénégal, on peut citer le Ghana, par exemple en Afrique de l’Ouest, on peut citer le Botswana, le Malawi, la Zambie, l’île Maurice et beaucoup de pays qui ont connu des alternances démocratiques par la voie des élections crédibles et acceptées par tout le monde. Donc, il y a du progrès mais, en même temps, il faut reconnaître qu’il y a encore du travail à faire.