Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
Le marché de l’influence et des influenceurs, il a explosé ces six dernières années. Est-ce qu’aujourd’hui il y a un début d’amorce de tassement ou pas ?
Raphaël Molina, avocat, spécialisé dans l’influence et la communication
Je ne dirais pas qu’il y a une1 amorce de tassement, au contraire je pense que c’est un marché qui reste en croissance. Néanmoins on remarque une grande tendance, selon moi, c’est le fait que les marques désormais privilégient de travailler avec des influenceurs qui ont une communauté très engagée.
Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
Très resserrée, quoi, en fait.
Raphaël Molina, avocat, spécialisé dans l’influence et la communication
Exactement. Voilà, ils cherchent de l’engagement avant tout avec leur produit. Ils ne cherchent pas simplement à avoir2un nombre de followers.
Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
Quand vous dites de l’engagement, c’est-à-dire de vendre un produit très ciblé… à une communauté très ciblée ?
Raphaël Molina, avocat, spécialisé dans l’influence et la communication
Tout à fait. C’est ça, c’est que… avoir de l’audience, c’est bien beau, mais encore faut-il que vous ayez des…
Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
Des gens qui achètent derrière… qui passent à l’acte d’achat, oui.
Raphaël Molina, avocat, spécialisé dans l’influence et la communication
Des communautés qui achètent, exactement. Et il y a une décorrélation totale entre le nombre de followers et les achats qui sont faits.
Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
D’accord. Quelle est la réalité, Camille Lanci, des influenceurs et des influenceuses que vous avez rencontrés au cours de votre enquête ?
Camille Lanci, journaliste à la RTS3
Si on prend l’exemple de Camille Bonvin, cette influenceuse valaisanne4 qui nous a vraiment ouvert les portes, montré son quotidien, on se rend compte que c’est un quotidien extrêmement compliqué en fait. C’est une activité chronophage. On doit nourrir constamment pour ne pas perdre, ne pas rentrer dans l’algorithme et se faire prendre. Il faut constamment nourrir, mais il faut aussi constamment sélectionner. On le voit bien, Camille fait le tri non seulement de ses partenariats, mais des personnes qui la suivent. Si elle considère que c’est soit des faux comptes, soit des comptes qui ont une provenance un peu douteuse, elle va les enlever. Mais ça, elle le fait toute seule, il n’y a pas de robot et elle a vraiment des horaires extrêmement stricts. Et elle nous a parlé de sa santé mentale et ça, je pense, c’est important de le soulever. La plupart des influenceurs et influenceuses qu’on a rencontrés, c’est des jeunes. Des jeunes pour qui c’est le premier métier, en quelque sorte, qui ne sont pas préparés. Il n’y a pas d’écoles d’influence, il n’y a pas de professeurs d’influence, il n’y a pas de collègues à proprement parler. Donc on se trouve rapidement livré à soi-même et on le sait : passer trop de temps sur les réseaux sociaux nuit à la santé. Donc, ce dont5 on s’est rendu compte c’est que c’est une réalité beaucoup plus complexe que ce qu’on avait imaginé au début et Camille, là-dessus, a vraiment montré de manière extrêmement transparente et ça, ça nous a surpris parce qu’effectivement cette transparence, elle manque vraiment à ce monde.
Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
Justement, la réalité que nous décrit Camille, et finalement l’envers du décor, est beaucoup moins jolie que ce qu’on peut voir sur les posts. C’est chronophage, on peut aussi être harcelé soi-même, il faut sélectionner sa communauté, il faut toujours poster toujours plus, ce qui élève parfois, comme on dit, le niveau de jeu, le niveau des posts. Quelles recommandations vous feriez, vous, à des débutants pour ne pas tomber dans les pièges de l’escroquerie ou dans les pièges tout court de cette activité d’influenceur. Il n’y a pas de formation, encore une fois…
Raphaël Molina, avocat spécialisé dans l’influence et la communication
Non, il n’y a pas de formation…
Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
Il y a des agences qui peuvent un peu vous conseiller plus ou moins bien d’ailleurs…
Raphaël Molina, avocat spécialisé dans l’influence et la communication
Oui, tout à fait. Tout à fait et c’est vrai que le premier conseil que je donnerais, c’est effectivement de bien s’entourer. Quand je dis bien s’entourer, c’est aussi bien l’agent qui va en général gérer votre carrière que les marques avec lesquelles6 vous allez travailler. Les deux sont aussi importants. L’autre point évidemment, c’est de se renseigner sur la législation du pays dans lequel on exerce et de voir s’il n’y a pas effectivement des sortes de guides à destination des influenceurs, ce qui existe aujourd’hui en France.
Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
On voit de plus en plus d’enfants, de familles d’influenceurs. Il y a vraiment une grande mise en scène autour des enfants et de la famille. Pourquoi ? Est-ce que c’est parce que ça fait vraiment du chiffre, comme les chats ?
Raphaël Molina, avocat spécialisé dans l’influence et la communication
Bien sûr.
Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
Ou comment l’expliquez-vous ? Puis quels problèmes ça soulève ? C’est du travail… les enfants n’ont pas le droit vraiment de travailler. Est-ce que c’est du travail ? Est-ce que vous pouvez nous dire un petit peu les problèmes que ça peut soulever… les questions ?
Raphaël Molina, avocat spécialisé dans l’influence et la communication
Oui, alors… c’est vrai… C’est vrai que de plus en plus d’enfants influenceurs et de familles avec des enfants influenceurs passent des partenariats avec des marques. Donc ça, c’est un fait, c’est une réalité. Cependant ça engage potentiellement des dérives. Pourquoi ? Pour la surexposition des enfants, déjà, dans un premier temps. Et aussi potentiellement une atteinte à leur vie privée, une atteinte pour certains à leur dignité, on l’a vu dans certaines affaires avec des influenceurs. Donc aujourd’hui, il y a des lois qui existent, en tout cas en France, justement, sur les enfants influenceurs. Il y a un cadre qui existe. Et je pense qu’il est véritablement nécessaire que les pays adoptent des dispositions spécifiques à l’influence pour les enfants.
Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
Alors la législation, elle est très souple en Suisse. Ces dérives justement par rapport aux enfants, l’absence de compréhension du métier de créateur de contenu pour les institutions. Enfin vous avez constaté qu’en fait pour l’instant aujourd’hui, les institutions peut-être ont du mal à légiférer. C’est aussi parce qu’elles ne comprennent pas vraiment ce métier. Et vous, vous insisteriez justement sur cette nécessité de renforcer la législation en Suisse, ici ?
Camille Lanci, journaliste à la RTS
Alors, en tant que journaliste, moi je ne vais pas prendre position. Ce qu’on a constaté, c’est qu’il y a des lois qui existent en Suisse. Mais c’est notre culture juridique helvétique, on a des lois générales. On n’a pas de lois, comme en France, vraiment pour encadrer le métier d’influenceur. Et ça a ses plus, ça a ses moins, et il y a des dérives qu’on a constatées. On a vu clairement dans le sujet des personnes faire la promotion du tabac, faire la promotion de la chirurgie esthétique. Et ça c’est, voilà, c’est dangereux parce que dans le sujet, là et autour de ce plateau, on a parlé beaucoup des influenceurs, des marques, mais les personnes influencées, au final, on les oublie aussi. Et c’est souvent des mineurs. Et pour juste donner un exemple de l’influence qu’ont… le pouvoir au final, qu’ont ces influenceurs, il faut savoir qu’aujourd’hui, dans le monde, depuis trois ans, il y a plus de chirurgies esthétiques qui sont faites7 chez les jeunes entre 18 et 34 ans que pour les personnes de 50 et 60 ans. Et ça, on sait que c’est directement lié au rôle de ces plateformes et surtout au rôle des personnes qui diffusent ce contenu.
Dominique Laresche, journaliste TV5MONDE
Les dérives par rapport aux enfants, vous les constatez aussi, ici, en Suisse. C’est les mêmes partout dans le monde ?
Camille Lanci, journaliste à la RTS
Oui. Oui bien sûr la Suisse ne fait pas exception, loin de là. On a un couple d’influenceurs connus dans la région qui fait la promotion, via le compte de leur enfant, de marques sans le dire de manière directe. Alors en France, ce ne serait plus possible, mais en Suisse, ça l’est encore. Pourtant on le rappelle, la Convention internationale des droits de l’enfant8, ça vient de chez nous, de Genève et pourtant on peut vraiment se poser la question comme vous disiez, est-ce que c’est du travail de l’enfant ou non. À ce stade, je ne crois pas qu’il y ait9 eu de jurisprudence là-dessus.
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1 Cette phrase a été corrigée par rapport à ce qu’on entend : « un* amorce de tassement ».
2 Cette phrase a été corrigée par rapport à ce qu’on entend : « ils ne cherchent pas qu’à* avoir ».
3 La Radio Télévision Suisse (RTS) est une entreprise audiovisuelle de service public suisse qui propose des programmes sur quatre chaînes de radio, deux chaînes de télévision et de nombreuses plateformes numériques. (source : Wikipédia)
4 Habitante du Canton du Valais, en Suisse.
5 Cette phrase a été corrigée par rapport à ce qu’on entend : « ce qu’on* s’est rendu compte ».
6 Cette phrase a été corrigée par rapport à ce qu’on entend : « les marques avec lequel* vous allez travailler ».
7 Cette phrase a été corrigée par rapport à ce qu’on entend : « qui sont faits* ».
8La première formulation globale des droits de l’enfant est en effet contenue dans la Déclaration de Genève de 1924.
9 Cette phrase a été corrigée par rapport à ce qu’on entend : « qu’il y a* eu ».