Le contexte
Bienvenue sur Geopolitis. A-t-on le droit de blasphémer ? Et d’abord, qu’est-ce que c’est qu’un acte ou une parole blasphématoire ? Entre la France de Charlie Hebdo où le délit de blasphème n’existe tout simplement pas, et n’est donc pas réprimé par la loi, et le Pakistan d’une République islamique où le blasphème est un crime punissable de la peine de mort, eh bien, il y a un monde de différence, de sensibilité et de législation.
Le terme blasphème vient du latin blasphémia lui-même emprunté au grec qui signifie « parler mal de quelqu’un, injurier ou calomnier, et causer du tort ». Au 16e siècle, un théologien espagnol vient situer le blasphème dans un contexte exclusivement religieux et le définit, je cite, comme « toute parole de reproche ou irrespect prononcé contre Dieu ». Plus proche de nous, le dictionnaire Larousse retient que le blasphème, je cite encore, « est la parole ou le discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré ». Définitions, interprétations, stigmatisations, punitions, Geopolitis tente de mieux saisir ce concept de blasphème
Alors, bien sûr, il y a Charlie Hebdo, l’affaire des caricatures du prophète Mahomet, les suites tragiques que l’on connaît en janvier et en novembre de l’année 2015. Évènements dont le retentissement aura été planétaire. Ce qui est moins connu, moins médiatisé, c’est la longue suite de cas de personnes, hommes, femmes ou même, enfants poursuivis pour blasphème dans un pays comme le Pakistan. Il y a certes le cas emblématique de cette jeune femme, Asia Bibi, mère de 5 enfants, pakistanaise chrétienne, condamnée à mort, placée depuis 6 ans dans un isolement total, accusée d’avoir insulté le prophète, accusée en fait par des gens de son village avec lesquels elle s’était disputée. Mais il y a aussi le cas de cette jeune chrétienne de 14 ans, Rimsha Masih, accusée d’avoir brûlé des pages du Coran, malmenée par la foule, n’ayant eu la vie sauve qu’après avoir été protégée par la police. On cite aussi la fin tragique d’un jeune couple ayant soi-disant profané le Coran ; couple qui a été brûlé vif en novembre 2014. La Commission Justice et Paix, qui dépend de l’épiscopat pakistanais, recense, rien que pour l’année 2014, 105 victimes des lois anti-blasphème en vigueur dans le pays. Il n’y a donc pas qu’à Paris que l’on meurt, victime d’une violence perpétrée au nom de Dieu, cette violence condamnée par le Pape François qui déclarait, après les attentats de Paris, je cite : « Je veux réaffirmer avec force que la voie de la violence ne résout rien et qu’utiliser le nom de Dieu pour justifier cette voie est un blasphème. » Fin de citation.
Le reportage
Il n’y a pas que la France du grand défilé du 11 janvier 2015 avec une place de la République devenue le symbole d’une résistance française aux attaques terroristes. Il y a aussi la France des droits de l’homme, celle qui, dès 1881, devient le premier pays européen à renoncer explicitement à toute possibilité de condamnation de quelque forme de blasphème que ce soit. La France de l’époque estime en effet que l’on ne peut poursuivre un propos ou un discours portant atteinte au dogme, que ce dernier soit d’ordre religieux ou même politique. Par là même, la France consacre ainsi le principe du pluralisme. Un peu moins d’un siècle plus tard, l’argumentation est reprise par la Cour européenne des droits de l’homme, en 1976 et rappelle, ce sont des termes très précis, que « la liberté d’expression vaut aussi pour les idées qui heurtent, qui choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. » Fin de citation. Cela dit, il existe aussi en France un texte de 1972 qui, citation précise là encore, « pénalise l’incitation à la haine d’un groupe de personne en raison de son appartenance à une religion déterminée. »
L’écrivain turc Mustafa Akyol, dans un plaidoyer intitulé L’Islam sans extrêmes, fait remarquer que dans l’Islam, Mahomet n’est pas la seule figure sacrée de l’Islam. Le Coran vénère d’autres prophètes : Abraham, Moïse ou Jésus et demande aux fidèles « de ne faire aucune distinction entre ces messagers de Dieu. » Fin de citation. Pour autant, aux yeux de certains islamistes extrémistes et notamment au Pakistan où, au moindre signe suspect de possible blasphème, des manifestations réunissent des dizaines de milliers de fidèles, eh bien seule est condamnable la représentation et l’évocation caricaturale de Mahomet, signe, dit cet écrivain turc, Mustafa Akyol, signe que ce que l’on présente comme un blasphème est en fait une attaque non pas contre Dieu ou ses prophètes, ce qui serait une marque d’irrespect, mais plutôt une atteinte à toute une communauté. C’est donc le sentiment nationaliste, plus que le sentiment religieux, auquel il serait porté atteinte. De nombreux experts font enfin valoir que jamais le Coran n’a prévu de punition terrestre ni pour le blasphème ni, du reste, pour l’apostasie.