Voix off
Qu'est-ce que c'est ? C’est bizarre… Un bébé qui dort et sa mère elle le regarde… La nounou est bloquée dans les transports ? Mais non ! Imaginez le tableau : on est en 1872. Les Français découvrent le service militaire moderne obligatoire, on lit Alice à travers le miroir de Lewis Caroll, Georges Bizet compose L'Arlésienne. Bref, on parle de femmes, mais l'action, c'est pour les hommes. Berthe Morisot n'est pas d'accord. À 31 ans, avec son caractère volcanique, elle est bien décidée à prouver que la peinture n'est pas qu'une affaire d'hommes. Et pour ça, il faut montrer ce qu'on sait faire. Regardez bien : une gaze toute transparente, des bras qui se répondent, des mèches très détaillées et un regard plein de tendresse et de gravité. Pas de doute, Berthe Morisot maîtrise son sujet. Cette Madone fait écho de façon très moderne aux nombreuses Vierges à l'enfant. Ici, pas de Sainte Marie, mais la propre sœur de l'artiste, Edma et son bébé, dans une scène du quotidien. Derrière la tendresse maternelle se dessine aussi le destin de la femme du XIXe siècle, enfermée dans son rôle domestique comme Edma dans les diagonales de cette toile. Berthe Morisot sait qu'elle n'aura pas le destin de ses pairs masculins, malgré sa volonté farouche. L'École des Beaux-Arts est d'ailleurs interdite aux femmes. Pourtant, la finesse du voile, le détail des doigts qui le retiennent, l'apaisement du visage de l'enfant, tout montre à quel point les leçons particulières du peintre Camille Corot ont été profitables. Et pourtant, c'est plus souvent en tant que modèle de son beau-frère Édouard Manet que l'on connaît Berthe Morisot. Le tableau est peu remarqué lors de l'exposition impressionniste de 1874 ; Berthe Morisot est la seule femme à y exposer. Après sa mort prématurée, son œuvre est peu considérée. Adieu Berthe ! On redécouvrira cette artiste sensible, tempétueuse et prolifique à la fin du XXe siècle. Il était temps… Le Berceau est acquis par les Musées nationaux en 1930. Il rejoint le musée d'Orsay dès son ouverture en 1986.